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LES TÂCHES DE L’OMC : ÉVOLUTION ET DÉFIS Thomas COTTIER* 1 Introduction 2 Du GATT à l’OMC : une évolution progressive 3...

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LES TÂCHES DE L’OMC : ÉVOLUTION ET DÉFIS Thomas COTTIER*

1 Introduction 2 Du GATT à l’OMC : une évolution progressive 3 Les tâches principales de l’OMC 3.1 Activités de négociation 3.1.1 L’accès au marché et la réduction des droits de douane 3.1.2 L’élimination des obstacles non tarifaires 3.1.3 Harmoniser le droit afin de réduire la troisième génération d’obstacles commerciaux 3.1.4 Les défis procéduraux 3.2 Surveillance, règlement des différends et mise en œuvre 3.3 Formation et renforcement des capacités 4 Conclusions Summary

1 INTRODUCTION L’OMC ne se borne pas à définir les conditions-cadres des règles internationales en matière d’accès aux marchés tiers et des principes généraux de concurrence et de politique commerciale extérieure. De plus en plus, le droit international, qui est négocié, interprété et mis en œuvre au sein de cette organisation, fixe des paramètres de la politique et du droit interne de ses Membres. Poursuivant le but de la libéralisation des marchés nationaux ou régionaux, par exemple celui de la Communauté européenne, cette organisation doit tenir compte également des intérêts non *

Professeur ordinaire, directeur de l’Institut de droit économique européen et international, Faculté de droit de l’Université de Berne. Revue Internationale de Droit Économique — 2004 — pp. 273-291

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économiques, tout en veillant à ce que ceux-ci ne puissent servir à des fins protectionnistes sans valeur ajoutée. Cet ensemble de droits et obligations est à ce stade bien ancré ; il repose sur un développement et une expérience de plus de cinquante ans, dont la majeure partie, à l’exception de la dernière décennie, s’est réalisée sous l’égide de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) conclu le 30 octobre 1947. Depuis le 1er janvier 1995, ce système est géré par l’Organisation mondiale du Commerce (OMC). Chaque jour, des milliers de transactions commerciales au niveau international s’effectuent dans le secteur privé ; des centaines de décisions administratives ou judiciaires sont prises par les organes des États, qui règlent les importations et exportations de biens et services. Directement ou indirectement, ces transactions et décisions sont influencées par les principes et règles juridiques de l’OMC. Le dispositif englobe aujourd’hui 18 accords et engagements qui représentent un total de 26 000 pages. Dans une large mesure incorporés dans le droit national ou régional, notamment celui de la Communauté européenne, les accords et instruments de l’OMC forment les conditions-cadres stables au service du commerce international, des entreprises et des consommateurs. De plus en plus, par exemple en matière d’achats publics ou de protection de la propriété intellectuelle, cette constatation vaut également pour des affaires purement internes. Il faut souligner cette stabilité, car le public – notamment par l’intermédiaire des médias – ne perçoit souvent que les difficultés, les crises qui se produisent à la suite des échecs de conférences ministérielles, comme celles de Seattle en 1999 et de Cancún en 2003, ou les problèmes qui résultent du défaut de mise en œuvre de certaines décisions controversées, qui sont prises par l’Organe de règlement des différends sur la base de recommandations des Groupes spéciaux (panels) ou de l’Organe d’appel de l’OMC. Ni ces crises et échecs, ni les protestations des organisations non gouvernementales qui suscitent des commentaires dans la presse et qui conditionnent la perception de l’OMC de la part du public, ne doivent nous amener à ignorer le fait que les règles internationales sont normalement suivies et que les décisions ressortissant du règlement de différends de l’OMC sont respectées dans une très grande partie des cas. Le droit international, comme le disait Louis Henkin, est presque toujours respecté par les États. Cela est vrai en tout cas pour les affaires qui forment la base des transactions et des décisions administratives et judiciaires, qui sont le bread and butter de la vie commerciale. À l’opposé de l’ancien GATT, l’OMC ne doit plus être comparée à une bicyclette qui tombe quand elle est arrêtée. Au contraire, l’OMC remplit globalement – indépendamment du progrès inhérent au rythme lent de la libéralisation progressive du commerce – des tâches cruciales pour la production et la mise en application du droit et sert par là à établir des conditions de concurrence stables et prévisibles. Il faut relever que le droit commercial de l’OMC, directement et indirectement, est opérationnel tous les jours dans le monde entier. De plus, des fonctions importantes sur la base des engagements existants sont remplies tous les jours sans généralement attirer l’attention des médias : les fonctions de surveillance, les fonctions de règlement des différends par voie de consultations et même judiciaire dans des domaines peu spectaculaires, et, finalement, les efforts de formation au bénéfice des pays en développement et en transition.

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Cela dit, il ne faut pas ignorer les grands défis du droit réglant le commerce mondial sur les plans pratique et théorique. Sur le plan pratique et économique, le blocage actuel de la négociation agricole et les difficultés liées à la réalisation de la protection de la propriété intellectuelle dans les pays moins avancés constituent des problèmes importants. Sur le plan conceptuel et juridique, l’interface du droit de l’OMC avec d’autres domaines et accords du droit international public reflète de manière constante que le système du droit international classique a de la peine à absorber la complexité normative de l’interaction des différents buts et politiques économiques, de concurrence, de protection des droits de l’homme et de l’environnement, de la politique sociale et de la sécurité globale. Dans la mesure où la libéralisation des marchés fait des progrès, le besoin de développer des politiques et règles d’accompagnement se manifeste. Sans recourir à une comparaison entre l’OMC et la Communauté européenne en tant qu’union douanière, il est évident que la libéralisation amène à une prolifération nécessaire de mesures d’accompagnement (flanking measures) afin de stabiliser les résultats et la légitimité des règles et des institutions par la réalisation d’une distribution équitable des fruits de la croissance économique. Actuellement, l’OMC se trouve au seuil de cette évolution. Mais elle est – comme tout le droit international public en général – mal préparée à cette fonction. Elle n’est pas préparée à cela à l’intérieur du droit OMC. De plus, le droit international public est basé sur la coexistence et la coopération et il lui manque dans une large mesure la dimension de redistribution effective qui fait partie de l’intégration. Dans la mesure où ils existent, les différents réseaux et fora restent isolés et fragmentés. À l’exception de la jurisprudence, notamment en matière de protection de l’environnement, le système reste très lacunaire par rapport aux interfaces des différentes organisations et accords à caractère international. Ces problèmes reflètent en même temps le déficit de la doctrine qui, pendant trop longtemps, a contribué à ignorer d’intégrer le droit commercial du GATT dans le corps du droit international traditionnel – et vice versa. Le défi, qui se pose à cause du succès du GATT, suite à la multiplication et la complexité croissante des règles et conditions-cadres développées en huit cycles de négociation dès les débuts du GATT en 1947, est formidable.

2 DU GATT À L’OMC : UNE ÉVOLUTION PROGRESSIVE Le règlement de paix qui a suivi la Seconde Guerre mondiale au niveau du droit international se distingue par la création d’organisations multilatérales qui ont tenté de mondialiser les principes du New deal – croissance et plein emploi. Au centre, on trouvait les Nations Unies, dont le mandat était étendu aux questions économiques et sociales. Cette tâche revenait surtout aux institutions de Bretton Woods, qui devaient mettre sur pied l’Organisation internationale du Commerce aux côtés de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI). La Charte de La Havane prévoyait à cet effet non seulement des règles destinées à supprimer les obstacles commerciaux dans le domaine des biens et des services, mais aussi d’autres restrictions au niveau de la concurrence, en incluant le droit des cartels et également le droit social (labour standards).

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Ce projet ambitieux était en avance de cinquante ans sur son temps et se heurta à la résistance du Congrès américain. Il ne devait trouver sa réalisation – et ce dans une mesure limitée – qu’en 1995 avec la fondation de l’OMC. En lieu et place, on élabora dès 1947, dans la perspective de cette évolution, les règles de politique commerciale de la Charte de La Havane et on les rédigea sous la forme d’un Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), conçu à titre provisoire. Ce dernier entra en vigueur le 1er janvier 1948 par un protocole qui le rendait provisoirement applicable aux vingt-six Membres fondateurs. Cet accord est basé sur les grands principes de la non-discrimination et de la transparence qui remplacent la tradition bilatérale et le nationalisme économique de la période entre les deux grandes guerres mondiales : (a) le principe de la clause de la nation la plus favorisée (NPF) impose l’égalité de traitement de toutes les parties contractantes afin d’établir des conditions de concurrence semblables pour tous les produits importés similaires ; (b) le principe du traitement national exige que des produits importés et soumis à des droits de douane ne soient pas désavantagés par rapport aux produits locaux similaires sur le marché intérieur. Il s’agit dans ce cas de l’égalité de traitement entre la production nationale et étrangère ; (c) les prescriptions sur la transparence et la protection du droit visaient notamment les accords secrets de tradition européenne et l’asymétrie y relative de l’information sur le marché. Lors du processus de décolonisation, le nombre des États membres a augmenté régulièrement pour être de 123 avant la dissolution du GATT en 1995. Ce n’est qu’en 1994 que les États contractants approuvèrent formellement la fondation de l’OMC en tant qu’organisation de droit international. Les États membres du GATT provisoire de 1947 adhérèrent automatiquement à l’OMC, qui entra en vigueur en 1995. Même si on observe la naissance formelle d’une organisation internationale nouvelle, l’OMC reste fortement basée sur les traditions et l’expérience de la libéralisation graduelle du commerce international. Les interprétations faites par les groupes spéciaux (panels) du GATT 1947 restent valables en tant que jurisprudence. Néanmoins, on observe des changements profonds : le pilier traditionnel du GATT 1947 est élargi par une série de conventions et instruments additionnels. Un deuxième et un troisième pilier sont ajoutés. L’accord général sur les services, le GATS, établit des règles de base et le principe du processus de la libéralisation progressive des services, à savoir le secteur devenu le plus important notamment dans les pays industrialisés. L’accord sur la protection de la propriété intellectuelle, l’ADPIC, définit, sur le plan mondial, le niveau de protection minimal pour les différentes formes de droits de propriété intellectuelle et en matière de procédures liées à la mise en œuvre de ces droits. L’introduction de la protection de la propriété intellectuelle marque le point de départ du développement du système de libéralisation progressive vers un système des normes et standards. La nature des règles de l’OMC a évolué vers des dispositions impératives globales, tout en renforçant les tendances qu’on trouvait déjà dans les accords conçus dans le Tokyo Round sur les subventions et l’anti-dumping. Cette évolution se trouve déjà – du point de vue structurel – dans la deuxième génération de réglementations. L’accord sur les subventions et l’accord destiné à lutter contre le dumping prévoient également des

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normes législatives minimales que les États membres doivent respecter. Cependant, ce n’est qu’avec les accords sur la propriété intellectuelle, sur les services et les marchés publics – qui ont été englobés par le droit de l’OMC à côté du GATT, en tant que deuxième et troisième piliers – que le changement lié à la structure normative est devenu évident. Ces nouveaux instruments dénotent par ailleurs que les politiques extérieure et intérieure ne peuvent plus être séparées. La prise en compte des services et de la propriété intellectuelle a abouti de manière décisive à renforcer l’attention qui était portée à l’OMC et à intégrer un plus vaste public, dépassant la diplomatie commerciale et les associations. Finalement, c’est le règlement de différends qui a changé la nature du droit OMC d’une manière radicale : ni l’établissement d’un groupe spécial (panel), ni la mise en œuvre d’un rapport de l’organe d’appel ne peuvent être refusés. L’État membre, qui s’abstient de corriger sa pratique ou son droit ayant été jugé incompatible par les organes de l’Organisation, se trouve en face de mesures de rétorsion bien définies par le droit de l’OMC.Cette organisation, nonobstant certains défauts, se caractérise par le système de règlement de différends le plus efficace dans le domaine du droit international public. Ces mutations au niveau de la substance et de la structure expliquent également les différences entre l’ancien GATT et le droit de l’OMC, et leurs répercussions sur le droit international et les relations internationales en général. Le GATT n’était guère connu au-delà de la diplomatie commerciale et des cercles directement intéressés, même si la politique commerciale revêtait déjà une importance indéniable pour l’ensemble de la politique économique. L’OMC se trouve aujourd’hui, à tort ou à raison, au centre des débats sur la mondialisation et ceci sans qu’il n’y ait toujours une bonne connaissance du contenu et des fonctions du droit en question.

3 LES TÂCHES PRINCIPALES DE L’OMC On peut distinguer les trois tâches principales suivantes de l’OMC : la négociation d’accords liés au commerce international, la surveillance des politiques commerciales et le règlement des différends ainsi que l’application du droit. Par ailleurs, on peut mentionner également parmi ces tâches la promotion de la formation et le renforcement des capacités (« capacity building »). Nous essayons de décrire ces fonctions et de souligner les défis contemporains.

3.1 Activités de négociation 3.1.1 L’accès au marché et la réduction des droits de douane La tâche du GATT consistait d’abord à abaisser progressivement les droits de douane, ce qui a abouti à une diminution de 40 % en moyenne sur les biens

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industriels. L’accord prévoyait à cette fin non seulement des mécanismes de négociation obligatoires, mais également des mesures d’accompagnement afin d’éviter la violation des concessions douanières négociées et garanties. Tandis que les droits de douane étaient admis en tant qu’instrument principal de protection de l’économie nationale, l’accord est parti d’une interdiction de principe des restrictions quantitatives. Il a aussi introduit progressivement les premières règles sur les subventions, contre le dumping et sur les droits exclusifs (commerce étatique, service public). Dès le début, le GATT était un instrument différencié, qui laissait la place à d’autres objectifs politiques. Ceux-ci se trouvent dans les prescriptions sur les difficultés en matière de balance des paiements et surtout dans les exceptions générales destinées à la protection de nombreux intérêts publics, tels que la sûreté nationale, la santé, les ressources naturelles, la morale ou les droits de la propriété intellectuelle. Le GATT a fait ses preuves au cours des cinquante dernières années en tant qu’instrument de négociation. Au cours de huit cycles de négociations commerciales, il a réussi à abaisser la moyenne des droits de douane de 40 % à 4 % dans le domaine des biens industriels et à éliminer ainsi une première génération d’obstacles commerciaux par des libéralisations progressives. En l’occurrence, la création de la Communauté européenne, qui agissait comme une union douanière, revêtit une grande importance ; des États tiers mirent donc tout en œuvre pour éviter le plus possible les détournements commerciaux (trade diversion) liés aux privilèges que créaient ces unions douanières. C’est ainsi que le sixième cycle de négociations (Kennedy Round, 1963-1967) a abouti également à une diminution remarquable de la moyenne des droits de douane. Le huitième Cycle d’Uruguay (l986-1994) a continué ce processus. Dans le domaine de la protection classique, la tarification des restrictions souvent imposées au moyen des restrictions quantitatives dans le domaine du commerce agricole a produit un véritable changement de système par l’intégration de l’agriculture et du secteur textile dans le système multilatéral. L’accord sur l’agriculture forme la nouvelle base pour l’abaissement des tarifs et du subventionnent à long terme, même si les engagements initiaux restaient au-dessous des attentes des pays exportateurs à la clôture du Cycle d’Uruguay. L’accord sur les textiles oblige les pays industrialisés à quitter leur système de restrictions quantitatives en faveur d’une protection plus nuancée par des mesures de quotas tarifaires jusqu’en 2006. Les négociations d’accès au marché forment donc le centre de la négociation classique. Le système de la libéralisation au moyen des cycles aboutissant à des « paquets » (package-deals) « multilatéralisés » sur la base de la clause NPF est resté, à chaque étape, un chemin ardu et un défi considérable. Les grands efforts politiques effectués par les gouvernements dans le cadre de ces cycles permettaient de créer les pressions nécessaires pour aboutir à des résultats substantiels. Aujourd’hui, ce système reste un pilier important de l’OMC, notamment dans le secteur des biens industriels et des services, qui se trouvent encore au début d’un

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développement prometteur. Cependant, la démarche consistant à négocier en cycles est confrontée à des limites pour des raisons qui ont déjà été mentionnées, à savoir la nécessité accrue de combiner la libéralisation avec des politiques d’accompagnement. Notamment, dans le domaine de l’agriculture, il s’agit de trouver des nouvelles politiques qui répondent aux exigences du développement durable et d’élaborer une meilleure cohérence des productions dans les pays industrialisés et en développement. Dans une perspective globale, les réductions tarifaires et celles liées aux subventions internes ainsi que l’élimination des subventions à l’exportation ne suffiront pas pour améliorer la situation d’ensemble, en particulier pour un grand nombre de pays moins avancés qui dépendent d’une amélioration de l’accès au marché pour leurs produits de valeur ajoutée. Cela vaut également pour le secteur agricole des pays industrialisés qui, sauf pour les producteurs de masse, dépendront de plus en plus des ventes de produits spécialisés et de niche soumis aux conditions de l’économie du marché. À ce stade, il nous manque les politiques et les règles internationales pertinentes à cet effet. Cela constitue l’une des explications du blocage des négociations dans le cadre du cycle actuel initié à la Conférence ministérielle de Doha en novembre 2001. Ni les services, ni la propriété intellectuelle, ni les nouveaux sujets de Singapour (investissement, concurrence et facilitation du commerce) ne représentent de tels obstacles. À notre avis, les défis les plus importants se trouvent dans le domaine le plus classique du commerce mondial. À première vue, cela semble paradoxal. Il s’agit d’un secteur qui ne touche qu’une minorité de la population dans les pays industrialisés et qui ne représente qu’une partie mineure de la productivité. Mais, ce secteur dépasse la simple production de nourriture. Sans faire appel à la théorie de la multifonctionnalité, il faut souligner que la politique agricole assume des fonctions de politiques régionales et démographiques dans tous les États. Elle devrait répondre aux exigences du développement et de la production durable dans tous les pays. Cette constatation vaut en premier lieu pour les pays en développement et les économies en transition, car c’est là qu’une grande partie de la population dépend de l’agriculture et de la vie rurale. Le développement durable se fait à travers l’agriculture. Les coûts liés à la négligence de cette réalité sont très élevés : une migration accrue vers les centres urbains et vers l’étranger, liée à des problèmes de nature sociale très importants. Compte tenu de l’importance de ce secteur pour la vie humaine, la sécurité alimentaire, le droit à la nourriture et le développement durable dans tous les pays, il n’est pas question de faire sortir l’agriculture du système mondial du commerce, mais de développer des concepts et règles qui permettent de répondre aux besoins particuliers de ce domaine. On comprend facilement qu’il s’agit de problèmes très complexes qui dépassent les modalités de la libéralisation traditionnelle. Et ce n’est pas un hasard que les affaires les plus controversées, comme les différends liés aux bananes et aux hormones, portent sur le secteur agricole. Sans intégrer des considérations de politiques d’accompagnement des principes régissant le droit de l’OMC, sans la promotion de conditions-cadres soutenant la production des produits

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de valeur ajoutée dans les différents domaines, notamment les mesures non tarifaires, la propriété intellectuelle et les services, il sera difficile de faire des progrès dans la question de l’accès au marché en la matière. C’est pour cela qu’une grande partie des règles en matière agricole ont commencé à dépasser ce volet classique pour englober également le domaine des mesures non tarifaires et de l’harmonisation du droit proprement dit. Ces problèmes structurels de la libéralisation ne se limitent toutefois pas à l’agriculture. Le recours aux mesures anti-dumping et de sauvegarde par un nombre croissant d’États risque de neutraliser les progrès acquis dans le domaine de l’abaissement des tarifs. Il nous semble que le prix à payer de la libéralisation tarifaire réside dans le recours à ces instruments coûteux. Peut-être faudra-t-il développer une nouvelle théorie de protection optimale tarifaire, afin d’éviter l’utilisation accrue d’instruments peu prévisibles. Il faut relever que l’OMC n’est pas un accord de libreéchange. Il vise à éliminer le protectionnisme et à libéraliser les échanges tout en cherchant un équilibre entre les différents objectifs politiques légitimes en cause. Les recours répétés aux mesures de sauvegarde pourraient indiquer que l’équilibre actuel devrait être réexaminé. 3.1.2 L’élimination des obstacles non tarifaires La réduction progressive des obstacles non tarifaires a suscité l’attention au cours des cycles plus récents, les obstacles non tarifaires pouvant être désignés comme une « seconde génération » d’obstacles commerciaux. Le septième cycle de négociations (Cycle de Tokyo, 1973-1979) a ainsi abouti au premier accord complémentaire détaillé sur l’élimination des obstacles commerciaux techniques afin de discipliner les parties concernant les pratiques nationales contre le dumping, de réglementer le système des subventions et d’éviter des procédures arbitraires en matière de licences. Cet accord ainsi que d’autres n’ont pas été intégrés dans le GATT, bien qu’ils concrétisent en grande partie ses dispositions. Ils ont certes formé une partie intégrante du système du GATT, mais n’ont engagé que les parties contractantes qui avaient signé l’accord. Il en a résulté un déséquilibre au niveau des droits et des obligations entre les pays industrialisés et les pays en développement. Le traitement particulier qui touchait ces derniers – en raison des travaux effectués dans le cadre de la CNUCED et en réponse aux exigences d’un nouvel ordre économique mondial – fut étendu par d’autres prescriptions générales dans le GATT. Un objectif essentiel du huitième cycle (Cycle d’Uruguay) consista à restaurer l’unité du système et à prévoir des accords complémentaires faisant partie intégrante en cas d’adhésion. Le nombre des accords plurilatéraux fut fortement restreint. Parmi ceux-ci, les plus importants sont actuellement la réglementation des subventions à la construction aéronautique et les règles sur les marchés publics auxquelles adhèrent seulement 26 États. Dans ce contexte, il faut également signaler le nouvel accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires (SPS), qui offre les bases du droit de la police des

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denrées alimentaires et renvoie en substance aux normes internationales en la matière (Codex alimentarius). Il pose des exigences strictes touchant les comportements nationaux isolationnistes et les réglementations particulières lorsque des normes internationales existent déjà. Cependant, c’est dans ce domaine que les défis restent remarquables, soit dans le domaine classique de l’agriculture. L’accord SPS – peu observé et contesté pendant les négociations du Cycle d’Uruguay – deviendra l’un des sujets les plus controversés dans la période qui suit : une partie substantielle de la jurisprudence des organes judiciaires de l’OMC porte sur cet accord, notamment sur les problèmes liés à l’harmonisation internationale des règles sanitaires et phytosanitaires, en particulier le risk assessment et le risk management. L’affaire des hormones reste l’une des grandes affaires controversées. De plus, l’interface avec le protocole de Carthagène portant sur le commerce des organismes modifiés par le génie génétique reste un défi majeur touchant également le secteur agricole. 3.1.3 Harmoniser le droit afin de réduire la troisième génération d’obstacles commerciaux L’évolution ultérieure se distingue par la prise en compte d’une troisième génération d’obstacles commerciaux. Ceux-ci ne s’identifient plus, pour l’essentiel, à des mesures aux frontières, mais touchent les droits nationaux et les différences entre ceux-ci. Dans le domaine du trafic de marchandises, cette évolution se manifesta d’abord dans le cadre du nouvel accord sur l’agriculture, qui élargit et approfondit pour la première fois certaines règles du GATT qui existaient déjà sans être très efficaces. En effet, des principes et des limites aux aides internes ont été stipulés en plus des réglementations sur l’accès au marché. La diminution de 36 % des subventions à l’exportation dans les pays industrialisés et celle de 20 % en moyenne des aides internes qui se répercutent sur la production et/ou sur le commerce international, ont introduit dans les pays industrialisés une tendance basée sur les paiements directs et par là à une politique agricole orientée selon des critères écologiques. L’accord détermine ainsi en substance les conditions-cadres de la politique agricole régionale et nationale, qui a trouvé en Suisse par exemple son articulation dans l’art. 104 de la Constitution. On doit également constater une évolution comparable du droit, du point de vue structurel, dans la réglementation de l’accès au marché pour les services et la protection de la propriété intellectuelle. Le GATT n’incluait ces domaines qu’exceptionnellement et en relation avec des livraisons de marchandises. L’importance croissante du secteur tertiaire pour le commerce international et les investissements conduisit à la conclusion de l’Accord général sur le commerce des services (AGCS). Cet accord reprit les grands principes de la non-discrimination multilatérale du GATT et créa la base pour une amélioration de l’accès au marché pour les services et pour la protection des investissements dans ce domaine. Cet accord reprend la tradition de la libéralisation progressive. Il est donc peu surprenant que les modalités souples de l’accord ne se heurtent pas à de grandes résistances. Sauf pour le domaine des services financiers et des télécommunications, les engagements initiaux reflètent

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le statu quo de la législation nationale ou communautaire. Il s’agit là d’un projet dont l’évolution actuelle peut être comparée à l’évolution du GATT dans les années cinquante du siècle passé. La libéralisation des services est censée être un processus à long terme en ce sens que la libéralisation touche non seulement à l’accès au marché, mais souvent également à la structure propre des industries, notamment celles à caractère monopolistique et définies comme services publics. Il importe de soulever que ce sera aussi par le biais de la négociation sur les services que de nouvelles règles ponctuelles de concurrence – visant le comportement du secteur privé et donc la quatrième génération des obstacles au commerce – trouvera son entrée dans le système mondial du commerce. C’est moins par le biais d’un accord particulier que par le droit sectoriel que des règles de concurrence liant les opérateurs privés seront développées. De même, les règles régissant les investissements trouveront leur chemin dans le système par la voie sectorielle, cela principalement dans le cadre de l’accord sur les services. Jusqu’au Cycle d’Uruguay, la propriété intellectuelle n’était perçue que de manière marginale, comme un motif de restriction éventuel. L’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) se distingue aujourd’hui par un ensemble de normes juridiques véritablement harmonisées. Ces dernières fixent un niveau de protection minimal à garantir par tous les États membres dans leur droit national pour les différentes formes de la propriété intellectuelle et pour les secrets d’affaires. Ce seuil de protection est supérieur aux normes jusqu’ici en vigueur dans les Conventions de Paris et de Berne de l’ONU (OMPI). Du point de vue structurel, le droit de l’OMC a créé ici un véritable droit de l’intégration mondial, qui dépasse de loin l’interdiction de discrimination et les principes de la libéralisation progressive. Cette extension des domaines de réglementation et surtout l’introduction de l’accord ADPIC visant à garantir un niveau de protection nationale des biens incorporels a placé les pays en développement devant des problèmes majeurs. Ils se sentent souvent dépassés lorsqu’il s’agit de traduire dans leur droit interne de tels engagements dans des délais limités et de garantir une protection juridique nationale efficace. Malgré tout, la valeur d’un tel exercice ne peut guère être sous-estimée : elle est très souvent liée dans les pays moins développés à la première codification de certains domaines de la vie économique nationale et contribue ainsi de manière importante à la stabilité et à la prévisibilité d’un ordre économique et juridique efficace. Cependant, l’expérience des années passées par rapport à la dissémination des médicaments essentiels dans la lutte contre le SIDA a démontré que le concept utilitariste de la propriété intellectuelle n’est pas seulement sujet aux limitations dans le temps et par rapport à certains modes d’utilisation (fair use), mais s’étend également aux défis des droits de l’homme, notamment le droit à la santé et au développement. D’une part, la protection de la propriété intellectuelle est une condition essentielle pour la recherche et le développement, d’autre part le caractère exclusif des droits élimine la concurrence, cause un niveau de prix élevé et par là

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l’exclusion potentielle de groupes de consommateurs moins nantis. Le débat y relatif, qui touche également les problèmes liés à une protection accrue de la technologie informatique par le droit d’auteur moderne, concerne essentiellement l’étendue du domaine public et le libre accès à certaines informations à la lumière d’autres politiques publiques. Il concerne la question de savoir dans quelle mesure l’accord ADPIC devrait définir non seulement des normes minimales, mais également des normes maximales de protection dont les seuils doivent être respectés. Ce débat exigerait d’intégrer des aspects de concurrence dans les négociations sur une base ponctuelle. Finalement, on relève que les défis principaux se situent – une fois de plus – dans le domaine agricole. Les questions de la brevetabilité de la matière vivante portent essentiellement sur le génie génétique dans le domaine des semences et animaux. En même temps, il faudra trouver des règles de protection qui peuvent aboutir à une meilleure protection des produits agricoles de valeur ajoutée en provenance de pays industrialisés et de pays en développement. La protection des indications géographiques et du savoir traditionnel sont des pistes utiles à explorer afin de trouver un nouvel équilibre du système qui, jusqu’a présent, sert presque exclusivement les intérêts des pays industrialisés. 3.1.4 Les défis procéduraux Le GATT de 1947 fut conçu en premier lieu comme un instrument de négociation. Il fixait essentiellement les règles du jeu en vue d’une diminution progressive des droits de douane. Au-delà du droit écrit, un droit procédural a été élaboré reposant sur le principe du consensus. Aucune décision des groupes spéciaux ne devait être prise contre la volonté déclarée d’un État membre. Cela constituait une garantie essentielle pour que la politique commerciale soit négociée effectivement dans le cadre de l’accord et pour protéger en même temps les petits États. Cela a cependant mené à rendre les négociations plus complexes et plus longues, notamment dans le domaine des seconde et troisième générations d’obstacles commerciaux. Le lancement d’un cycle de négociations a toujours été une tâche complexe et exigeante. Avec l’importance grandissante des dossiers et du nombre des États membres, les difficultés se sont accrues au fil du temps. C’est ainsi que les préparatifs du Cycle d’Uruguay ne nécessitèrent pas moins de trois ans et que les négociations durèrent, avec des hauts et des bas, huit ans jusqu’à la signature finale fin 1993. Il est impossible actuellement de prévoir combien de temps durera le neuvième cycle, qui a été lancé à Doha en 2001. On a constaté qu’une partie substantielle des questions concerne les problèmes agricoles liés à la première génération (tarifs), à la deuxième génération (SPS, OGM) et à la troisième génération (propriété intellectuelle et services). S’agissant d’un cycle de développement, le progrès dépendra de la question agricole et des nouvelles approches à définir afin de soutenir une agriculture durable dans tous les pays du monde. Le changement structurel du droit de l’OMC s’est également fait sentir. Les négociations tarifaires et en matière d’accès au marché dans le domaine industriel semblent aujourd’hui bien simples par rapport aux négociations sur les règles

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proprement dites et l’harmonisation du droit. Ces dernières imposent des structures complexes de négociations, qui, elles-mêmes, subissent indirectement, mais de manière de plus en plus prononcée, les influences souvent contradictoires des gouvernements, des parlements et des organisations non gouvernementales. Il faut ajouter à cela qu’il s’agit, pour de nombreux objets, de questions touchant plus d’un domaine, qui ne peuvent être traitées et négociées séparément et relevant des domaines de compétence d’autres ministères autant que d’autres organisations internationales. Ces négociations ne peuvent être conduites sans un important effort de coordination interne et sans y associer les organisations internationales concernées. Nombre de difficultés qui existent actuellement dans les négociations doivent être imputées au fait que les organisations internationales sont définies encore aujourd’hui de manière strictement fonctionnelle et fragmentée. De plus, il n’existe pas de coordination capable de concilier globalement les intérêts et la compétence. Le changement structurel du droit de l’OMC n’a pas encore surmonté cette fragmentation traditionnelle. Entre la structure et la substance, il y a une lacune ; la combler représente pour les futures négociations un défi fondamental. Il se résoudra par la conjonction matérielle de différentes politiques, mais également par l’importance que revêtira le droit commercial pour la réalisation d’autres objectifs politiques accompagnés de sanctions et non par une séparation claire des tâches et des compétences, conformément à la conception prédominante. Cela s’applique notamment au droit de l’environnement, aux normes sociales ou à des domaines fondamentaux de la protection des droits de l’homme. Il en va de même pour l’évolution ultérieure du droit de la concurrence – notamment en y faisant entrer la question des cartels et des positions dominantes – qui intégrera les acteurs privés directement dans le droit de l’OMC. Reste à savoir ensuite si les structures de négociations existantes satisfont de manière suffisante aux exigences actuelles de la transparence. Les modalités d’intégration et d’association des parlements nationaux, des organisations internationales, mais également des organisations non gouvernementales, doivent encore évoluer au cours des prochaines années. L’idée d’une assemblée composée des représentants des parlements nationaux ou régionaux est importante. Elle pourra aider à dépasser les ignorances dans les milieux politiques des principes et règles du système multilatéral et à augmenter sa légitimité et sa crédibilité. Ce n’est qu’ainsi que l’on réussira, à l’avenir, à susciter la confiance nécessaire et à créer la base de solutions de consensus sur des dossiers compliqués. Dans ce contexte, la question se pose de savoir si le concept des cycles de négociation proprement dits n’est pas dépassé en ce qui concerne les questions autres que l’accès au marché dans le domaine des biens industriels et des services. Objectivement, l’idéal serait un processus de négociation permanent. Inversement, celui-ci ne pourrait guère susciter, à lui seul, la pression nécessaire aux négociations et qui peut jouer un rôle aux moments décisifs par des concessions croisées. La création de substance-structure pairings adéquates constitue un des défis cruciaux

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de l’OMC. Il faut peut-être arriver à un processus plutôt permanent en ce qui concerne les matières de législation, et limiter les cycles aux questions d’accès au marché. Inutile de dire qu’apparemment, les deux domaines sont difficiles à séparer dans le processus politique consensuel. C’est dans ce contexte que se pose la question du fonctionnement du consensus. Ce principe bien établi et presque sacro-saint pose problème vu que l’interaction des 148 États membres, de plus en plus organisés en caucus dans un paysage de géométrie variable, rend le consensus plus difficile qu’auparavant. Même si les avantages du consensus sont reconnus, il s’agit de développer des modes de décision plus efficaces et justes, tout en gardant l’équilibre des pays concernés. Un système de vote pondéré, tout en tenant compte de la grandeur des marchés, de l’ouverture des marchés et de l’importance de la population, pourrait débloquer la situation sans mettre en péril les intérêts essentiels des États membres. Il faut rappeler que la remise en question de la règle du consensus a déjà eu lieu dans le domaine du règlement de différends. L’impossibilité de bloquer l’adoption des rapports par un État seul exige maintenant de restaurer un équilibre équivalent dans le domaine de la négociation. Sans cela, nous risquons de perpétuer la tendance de surcharger, d’une part, le règlement des différends et, d’autre part, d’évincer l’action de la diplomatie par la négociation commerciale au profit de la voie régionale et bilatérale. L’inflation des accords préférentiels des dernières années reflète ce blocage à l’OMC au détriment du principe de la nation la plus favorisée dont beaucoup de pays de petite et moyenne taille dépendent dans une large mesure, notamment dans le tiers-monde. Un système équitable de vote pondéré servira d’abord les intérêts systémiques et, dans le long terme, les pays de petite et moyenne taille. Par contre, si on persiste à préserver la règle du consensus, on risque de détruire le système multilatéral à longue échéance ou, pour le moins, à l’exposer aux pressions unilatérales des grands blocs et puissances économiques.

3.2 Surveillance, règlement des différends et mise en œuvre La deuxème tâche principale de l’OMC, qui est également cruciale aujourd’hui, consiste à dire le droit au moyen du règlement des différends. Ce mécanisme est basé sur les expériences et les développements de la procédure des groupes spéciaux accumulés progressivement dans le cadre du GATT, mais il va bien au-delà. Les huit premières années de l’OMC couvrant la période de 1995-2003 ont donné lieu à un grand nombre de procédures de consultations bilatérales et de décisions, qui furent rendues en première ou seconde instance au cours d’une procédure analogue à la procédure judiciaire. On peut dire à juste titre que la procédure de règlement des différends sous forme judiciaire de l’OMC n’a pas seulement créé une jurisprudence volumineuse et nuancée ; elle a mis aussi sur pied une procédure de loin la plus efficace et également la plus rapide pour régler les différends dans le cadre du droit international. Les décisions sont généralement prises dans les deux instances en moins de 18 mois.

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Ce deuxième pilier du droit de l’OMC a marqué de manière décisive la nature de l’OMC en seulement quelques années : à la différence du GATT 1947, une partie poursuivie ne peut plus actuellement se soustraire à l’introduction d’une procédure ni à la sentence arbitrale de dernière instance. La décision adoptée sur recommandation de l’Organe d’appel (Appellate Body) lie les parties et entraîne la mise en œuvre de la décision. Les États sont tenus tout d’abord d’appliquer la sentence arbitrale, mais une compensation peut être également fournie à titre provisoire. L’expérience montre, cependant, que la partie gagnante, en l’absence de mise en œuvre de la décision, fait fixer par un tribunal arbitral la mesure quantitative dans le cadre de laquelle elle peut proposer des concessions à l’égard de la partie fautive. Ainsi, la partie gagnante se verra accorder le droit de frapper de pénalités douanières les importations en provenance du territoire de la partie déclarée fautive. Ces mesures sont efficaces et incisives. Elles expliquent, toutefois, également pourquoi on peut en venir actuellement à de graves tensions, même entre alliés stratégiques, lors de la mise en œuvre de la décision. Les possibilités de sortie, qui prévalaient auparavant, n’existent plus ; le conflit doit être réglé. Dans les cas les plus spectaculaires de mesures de rétorsion autorisées, qui concernèrent tous des litiges commerciaux transatlantiques entre les États-Unis et l’UE, les États-Unis se virent chaque fois accorder le droit de frapper les exportations en provenance de l’UE de pénalités douanières de 100 %, pour des montants de plusieurs millions de dollars. De même, la Communauté européenne a sanctionné les exportations américaines suite au défaut de la part du Congrès des États-Unis de modifier la législation en cause. Cependant, il importe de souligner que ces mesures de rétorsion ont été limitées au nombre de six affaires d’importance politique particulière ; dans une grande partie des cas, les recommandations des groupes spéciaux et de l’organe d’appel sont suivies et la compatibilité du droit interne avec les obligations du droit international sera rétablie. Le système de règlement de différends judiciaire représente la fonction la plus performante de l’organisation du système mondial ; dans la mesure où la négociation se complique pour différentes raisons, la voie judiciaire s’ouvre afin de régler des problèmes de fond, par exemple concernant le commerce des produits alimentaires qui contiennent des organismes modifiés par le génie génétique. Même si les organes judiciaires se bornent à interpréter les règles existantes et ne disposent pas de l’autorité de créer des droits et des obligations nouvelles par la voie interprétative, les décisions contribuent considérablement à la clarification des règles et donc à la sécurité du droit dans un domaine complexe. La contribution importante de cette fonction se manifeste dans la comparaison de la jurisprudence par rapport au GATT et au GATS. Si la première jouit d’une expérience de plus de cinquante ans, la deuxième se trouve au tout début de son élaboration.On peut prévoir que cet accord trouvera également sa stabilité et sa clarté grâce à la jurisprudence, ce qui permettra d’éviter des conflits futurs et de guider les autorités législatives, exécutives et judiciaires des États membres dans la détermination des conditions-cadres pour les différents secteurs des services, comme ceux des télécommunications ou des services financiers, de la santé, culturels et de l’éducation et de la formation.

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La croissance et la complexité des litiges démontrent néanmoins les limites du système basé sur les groupes spéciaux ad hoc, qui sont normalement composés de fonctionnaires nationaux nommés en raison de leur capacité personnelle. Si la professionnalisation de l’organe d’appel est acquise depuis la formation de cette institution en 1995, les propositions et efforts visant à réformer la structure des groupes spéciaux n’ont pas encore abouti. Les propositions faites par la Communauté européenne de créer des panels permanents se heurtent à la résistance de beaucoup de Membres qui craignent une certaine aliénation et la perte des liens étroits avec la voie diplomatique et donc des moyens d’influence à l’intérieur du système. Il est vrai que la professionnalisation de la voie judiciaire nécessite, en parallèle, le développement de modes de décisions plus efficaces, permettant des réponses législatives par la négociation diplomatique. Le problème est donc étroitement lié à la question du consensus. La séparation des pouvoirs proprement dits requiert une réforme de la fonction législative et ne peut être dissociée de celle-là. Dans la situation actuelle, la réforme du système judiciaire pourrait donc se limiter à créer des fonctions de présidences permanentes des groupes spéciaux et à choisir les membres des groupes sur une liste exhaustive des personnes qualifiées d’un collège de panelists. Cette proposition permettra d’éviter de longs délais dans le processus d’établissement d’un panel, d’améliorer les procédures, de clarifier les relations avec l’organe d’appel, tout en gardant les liens traditionnels et la participation de la diplomatie. Dès lors que le système actuel n’impose pas de réformes immédiates et pressantes, l’évolution sera liée aux progrès et aux résultats du cycle de négociation au sens large.

3.3 Formation et renforcement des capacités La troisième et la plus récente tâche principale de l’OMC concerne la formation. Cette fonction est d’une importance primordiale. Le succès de l’OMC, en tant qu’instrument de négociation et de règlement des différends, dépend essentiellement de l’existence des connaissances sophistiquées et des compétences poussées. Ces ressources existent dans les ministères commerciaux des États industriels. Elles n’existent pas forcément dans d’autres ministères et départements qui, de plus en plus, sont touchés par les matières de l’OMC. Dans la plupart des pays en développement et en transition, l’expérience manque. Dès lors, il est impératif de promouvoir la formation. Le GATT et l’OMC, mais également la CNUCED et divers États membres apportent par conséquent depuis des années une contribution importante, notamment dans la formation et le renforcement des capacités des pays en développement et en transition. Si un nombre restreint de pays en voie de développement était activement engagé dans le Cycle d’Uruguay (notamment l’Argentine, le Brésil, le Mexique, la Corée, l’Inde), la situation a beaucoup changé durant les dernières années. Les États africains ont développé un rôle actif et souvent bien concerté. La Chine est entrée dans le jeu en s’étant préparée d’une manière exemplaire en termes de formation en la matière. Les pays en transition, membres de l’ancienne Union soviétique, font valoir leurs besoins particuliers. Il en va de même pour un nombre

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croissant de petits pays. Dans le domaine du règlement des différends, le fait d’accepter les avocats et les organisations non gouvernementales comme conseils a beaucoup renforcé le dispositif. Les capacités ont ainsi sensiblement augmenté dans les années passées et la présence des pays en développement dans le processus de négociation est renforcée. L’OMC n’est certainement plus un club de riches. Les préoccupations des pays en voie de développement jouent un rôle important et souvent prépondérant. Le succès des négociations dépend entièrement du fait de savoir si des solutions équitables peuvent être trouvées qui répondent également aux besoins particuliers des PVD. Cependant, les efforts accomplis jusqu’ici dans le domaine de la formation ne permettent pas de satisfaire tous les besoins. D’abord, plusieurs États membres de l’OMC ne disposent pas toujours de ressources suffisantes, ni de connaissances nécessaires pour défendre leurs intérêts de manière efficace, cela dans tous les domaines de la négociation. En outre, les capacités et l’expertise manquent souvent à ces pays afin de réaliser les politiques commerciales sur le plan interne et de gérer le processus d’ajustement structurel nécessaire. Il faudra donc approfondir l’effort sur le terrain des différentes régions. Cela vaut également pour les pays candidats à l’adhésion qui se soustraient à des négociations et procédures complexes et qui ont de la peine à évaluer les impacts potentiels d’une adhésion et des politiques appropriées d’ajustement structurel sur le terrain. Contrairement au FMI et à la Banque mondiale ainsi que d’autres institutions engagées à promouvoir les efforts de développement, le GATT et l’OMC se sont limités à la négociation et au règlement de différends portant sur les conditionscadres juridiques du commerce mondial. Les efforts de coopération au sein du secrétariat de l’organisation, dans les États membres et les régions se bornent à la formation à court terme, sans fournir un engagement approfondi par rapport à l’analyse des problèmes particuliers des différentes structures économiques des États membres. Ceci exigerait de se familiariser de manière approfondie avec les problèmes particuliers. Il serait donc souhaitable d’étudier la possibilité de créer des centres régionaux de l’OMC qui pourraient assumer cette fonction en coopération étroite avec d’autres organisations, gouvernementales et non gouvernementales. La transformation des droits et obligations du droit de l’OMC en termes de politique interne, de droit interne, et la gestion des ajustements structurels, le développement des exportations, la promotion des transferts de technologie sont des fonctions essentielles qui devraient être accompagnées et appuyées par l’OMC et son équipe professionnelle, même si ces fonctions sont partiellement remplies par d’autres organisations. Les financements nécessaires à cet effet doivent être mis à disposition. L’OMC ne peut se contenter plus longtemps d’une situation financière héritée de l’époque où le GATT s’en sortait avec un petit secrétariat et – à la différence de la Banque mondiale –, avec un petit budget de 132 millions de frs, ne pouvait déployer d’activités dans les différentes régions du globe. Cela serait pourtant nécessaire pour pouvoir assurer durablement des tâches de formation et les adapter aux besoins des États membres.

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Cependant, il est tout aussi important que le droit de l’OMC acquière sur le plan mondial, dans la formation universitaire, sa juste place. La mutation structurelle du droit et la séparation – irréalisable à court terme – du droit commercial international et des autres domaines du droit exigent une formation intégrée, qui permettra également dans d’autres organisations, dans les ministères, dans l’économie privée, les études d’avocat et les tribunaux, de réunir les ressources ayant trait à cette évolution dynamique du droit. À ce stade, il y a peu de contacts réguliers entre l’Organisation, les États membres et les milieux académiques. À défaut d’influence politique, il y a peu d’intérêt à les inclure dans les opérations de formation et de recherches. Au lieu de suivre la négociation, le monde universitaire ferait mieux de s’occuper du long terme et de développer les concepts qui pourront influencer, le moment venu, la négociation. Sauf pour la critique et les commentaires de la jurisprudence des organes judiciaires, le partenariat entre l’OMC et le monde universitaire reste un défi important.

4 CONCLUSIONS L’ordre économique mondial s’est fortement modifié au cours de ces dernières cinquante années. On est graduellement passé d’un accord douanier limité (GATT) à un ensemble de règles hautement complexes, placées sous l’égide de l’OMC. Celles-ci ne se réfèrent pas seulement aux trois secteurs de l’économie (agriculture, industrie et services), mais reflètent également une convergence matérielle croissante entre le droit commercial classique et d’autres tâches et domaines politiques, comme la protection de l’environnement, les normes sociales ou le droit de la concurrence. Le droit régional et national s’en trouve en même temps influencé de manière beaucoup plus profonde qu’auparavant. Les tâches multiples de l’OMC et de son droit international se concentrent sur trois domaines : la négociation, le règlement des différends et la formation. Ces domaines sont étroitement liés. Chacun pose des défis substantiels. Nous concluons par le constat que les modes de négociations sous forme de cycles se prêtent bien dans les domaines d’accès au marché des biens industriels et des services. Ils ont leurs limites dans les domaines du rule-making, notamment dans les domaines où la libéralisation demande des conditions-cadres et des mesures d’accompagnement. Ceci est essentiellement le cas pour la négociation portant sur le commerce agricole. À travers les différentes générations d’obstacles tarifaires et non tarifaires, l’agriculture et le commerce agricole présentent le défi principal dans le processus de globalisation dans l’agenda de Doha. On a vu que les problèmes liés à ce secteur ne se limitent pas à la négociation agricole proprement dite, mais se trouvent également au centre des mesures non tarifaires de la propriété intellectuelle. Ils touchent aux services et aux problèmes liés à l’environnement. Le défi principal reste le secteur primaire.

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Il est nécessaire de développer des structures de décisions (négociations et règlement de différends) qui permettent d’absorber cette complexité et de développer les mesures d’accompagnement des processus de libéralisation progressive dans ce domaine. Les mêmes problèmes se posent d’une manière moins accentuée également dans d’autres domaines de la négociation. Le consensus, malgré ses avantages, ne convient pas aux négociations complexes, raison pour laquelle nous proposons d’envisager de passer à un système de vote pondéré. Cela permettra de quitter les modalités des cycles en ce qui concerne les tâches législatives de l’OMC et de traiter ces questions en principe sur la base d’un processus permanent auquel pourrait se joindre une assemblée consultative composée par des représentants des parlements nationaux. Finalement, cela permettra d’améliorer le dialogue portant sur le règlement des différends, en permettant le legislative response, à savoir la possibilité de corriger les interprétations faites par les organes judiciaires. Il nous semble impératif que ces questions soient traitées d’une manière cohérente. À ce stade, un organe qui s’occupe de telles questions systémiques et, en fin de compte constitutionnelles, fait défaut, alors qu’il a existé au début du Cycle d’Uruguay (FOGs). Il est temps de créer un comité juridique permanent au sein de l’OMC. Celui-ci pourrait aussi assumer les fonctions d’un comité de négociation sur le règlement de différends afin de reprendre les questions de réforme du processus de la négociation et du règlement des différends d’une manière cohérente. La professionnalisation partielle des panels de première instance et de son secrétariat, l’office du conseil juridique de l’OMC défendant les points de vue du secrétariat, l’introduction des mesures provisoires, des remèdes rétroactifs et la compensation pécuniaire dans le domaine des actes administratifs (autres que législatifs) constituent les défis principaux dans ce domaine. Ce comité sera également chargé de traiter de toutes les questions systémiques, notamment les rapports juridiques entre le droit de l’OMC et le reste du droit international du commerce, notamment les accords préférentiels (union douanière, accords de libre-échange), les rapports entre le droit OMC et le droit régional et national. Il faut souligner que toutes ces questions demandent un effort concerté qui pourrait être accompagné par un groupe consultatif académique. En ce qui concerne la formation et le conseil, il nous semble important de travailler avec des offices régionaux de l’OMC. Seules des connaissances approfondies et une présence sur le terrain permettront d’accompagner le processus de libéralisation et d’ajustement structurel par une activité consultative. La coopération avec d’autres organisations ne peut pas remplacer cette démarche qui à son tour pourra aussi stimuler la négociation. En ce qui concerne la formation de base, l’organisation devrait créer un réseau de partenaires universitaires à travers le monde et les charger de l’enseignement de base et la formation avancée du droit mondial économique émergent.

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SUMMARY : THE TASKS OF WTO : DEVELOPMENT AND CHALLENGES As of today the rules developed within the World Trade Organisation (WTO) are no longer limited to market access, undistorted competition and coordination of domestic trade policies. More and more WTO law affects the internal politics of members in a wide array of areas formerly typically considered as purely of domestic relevance. This leads to a new challenge for the WTO : It must take into account non-economic values (such as environmental protection, social issues or fair competition) without allowing them to unduly reduce the important achievements in the traditional areas of GATT and WTO negotiations of the last almost sixty years. This essay looks at the traditional functions or activities of the WTO as an organisation : negotiations, dispute settlement and outreach. With regard to the traditional model of GATT/WTO negotiations (negotiating rounds, consensus) it is argued that this model does not longer suffice in view of the new issues and the complexity of the social problems touched upon. This should, among other things, also lead to the creation of a judicial committee which could finally tackle systemic issues in a more coherent way than this has been possible so far. The dispute settlement of the WTO is one of the areas most discussed in the years after the coming into effect of the Marrakesh Agreement. Here issues like the (partial) professionalisation of the dispute settlement panels and their secretariat, a strengthening of the legal service within the WTO towards the establishment of a true WTO legal adviser, interim measures and monetary sanctions could improve the current system and help to overcome some of the current criticism. Also in this area a legal committee and possibly an advisory body with representatives from academia could be very helpful. With regard to outreach it is recommended that the WTO works more through regional offices, like other international institutions. Local presence and a better understanding of local problems would increase the credibility of the organisation and its acceptance by constituencies worldwide. This could also be achieved by creating a net of partner universities and academic institutions involved in teaching and research regarding world trade.

Subject Descriptors (EconLit Classification System) : F 020, F 130, F 220