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La migration irrégulière : portrait de la situation actuelle Introduction ………………………………………………………………………………3 1. Une migrat...

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La migration irrégulière : portrait de la situation actuelle

Introduction ………………………………………………………………………………3 1. Une migration enracinée dans l’histoire de l’humanité: analyse des périodes d’évolution de la migration internationale à travers le XXe siècle et au début du XXIe siècle………………………………………………………………………………………8 1.1. L’évolution de la migration internationale depuis les deux guerres mondiales jusqu’au début du XXIe siècle……..……………………………………………………...8 1.2. Le changement des tendances dans les processus migratoires après les années 1989-1991………………………………………………………………………..12 1.3. Les nouveaux enjeux après les attentats du 11 septembre…………………..13 1.4. La mondialisation: le rôle de la libéralisation des biens, des services et des capitaux sur la pression migratoire………………………………………………15 2. La catégorisation de la migration régulière et de la migration irrégulière…………….16 2.1. La migration régulière……………………………………………………….17 2.1.1. La migration économique…………………………………………………18 2.1.2. Le regroupement familial………………………………………………….19 2.1.3. La migration humanitaire (réfugiés et demandeurs d’asile) 2.2. La migration irrégulière……………………………………………………..20 2.3. D’autres phénomènes liés aux mouvements migratoires contemporains : la traite et le trafic illicite des migrants……………………………………………..21

3. Le droit international applicable à la migration irrégulière…………………………...23 3.1. Le principe de la souveraineté des États versus le droit international en matière de droits de la personne………………………………………………....23 3.2. Création d’un corpus juridique de règles applicables aux migrants irréguliers………………………………………………………………………..25 3.3. Les droits des migrants irréguliers………………………………………….27

4. Les déterminants des politiques de maîtrise de la migration irrégulière……………..29

4.1. Aspect social : l’intégration des migrants en défaveur du renforcement de la maîtrise des flux migratoires…………………………………………………….29 4.2. Aspect économique : acceptation des migrants qualifiés n’ayant pas de droits dans la société d’accueil………………………………………………………….31 4.3. Aspect culturel : abolissement des frontières et rencontre de cultures et traditions diverses……………………………………………………………..…32 4.4. Aspect politique : choix entre la sécurité et les droits humains……………..32 4.5. Aspect juridique : les migrants irréguliers à la merci des États……………..33 4.6.

Opinion

publique :

dégradation

de

l’image

de

la

migration

irrégulière………………………………………………………………………...34 4.7. Aspect médiatique : de gros titres sur les tragédies humaines………………35 4.8. Perspectives générales : la prise en considération de la diversité des dynamiques migratoires …………………………………………………………36

5. Les politiques, les mesures et les techniques des États dans le domaine de la migration irrégulière………………………………………………………………………………...37 5.1. Les politiques de prévention pour lutter contre la migration irrégulière en Europe (Allemagne, Belgique, Espagne, France, Italie, Pays-Bas, RoyaumeUni)………………………………………………………………………………37 5.1.1.

La

politique

commune

de

l’Union

européenne

sur

l’immigration…………………………………………………………………….39 5.1.2. Le défi de l’élargissement de l’Union européenne : contexte de la politique d’immigration commune…………………………………………………………41

5.2. Les politiques d’immigration en Amérique du Nord et en Océanie (Canada, États-Unis d’Amérique et Nouvelle-Zélande)…………………………………..43 5.3. Les mesures et les techniques des États dans le domaine de la migration irrégulière………………………………………………………………………..46

6. Les perspectives contemporaines des flux migratoires : quelques points centraux et pistes de réflexion………………………………………………………………………..49

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Conclusion……………………………………………………………………………….52 Bibliographie……………………………………………………………………………..54

Introduction : Les migrations ont de tout temps contribué à la structuration et au développement des sociétés humaines, que celles-ci soient de départ ou d’installation. Leur influence sur les pays d’origine, de transit et d’accueil varie pourtant en fonction de la conjoncture au niveau mondial, qui aujourd’hui n’est plus la même que lors des années passées.

Les migrations irrégulières représentent un phénomène complexe qui comprend le passage irrégulier des frontières, le séjour irrégulier sur un territoire, le trafic de migrants et la traite internationale des personnes. Cela pose des problèmes en matière de droits humains1. Ainsi ce phénomène est-il inextricablement lié aux disparités économiques et aux différences de développement entre les États. En même temps, le recours à la migration irrégulière constitue une atteinte au pouvoir de chaque État de réglementer l’entrée des ressortissants étrangers et d’appliquer les règles sur l’immigration qui sont établies par ses lois nationales.

Depuis quelques années, toutefois, nous observons une intensification et une multiplication des flux migratoires. Selon les données les plus récentes publiées, en 2000, il y avait 175 millions de migrants dans le monde, dont 65 % installés dans les régions développés. En pourcentage, ils représentent environ 10 % de la population des ÉtatsUnis, 5 % de celle de l’Europe et moins de 1,5 % de celle du Japon et de la Corée du Sud. À ces chiffres généraux, on peut ajouter les estimations du Haut commissariat aux réfugies (HCR) qui évalue en 2004 l’ensemble des personnes en recherche de protection – généralement les demandeurs d’asile et les réfugiés – à 17,1 millions. Cet accroissement est notamment dû aux immenses progrès techniques réalisés dans les domaines des transports et des communications, qui ont entraîné l’abolition progressive 1

Selon différentes appellations : droits de l’homme (terme utilisé au sein de l’Organisation des Nations Unies), droits de la personne et droits humains. Pour les fins de cette note de synthèse, nous utiliserons la dernière appellation.

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des frontières entre les États-nations autrefois « enfermés », et de cette manière engendré une société et une économie ouvertes. La mondialisation, l’ouverture des marchés, la libéralisation des biens, des services et des capitaux ainsi que les progrès techniques ont créé de la richesse, mais ils ont aussi creusé des inégalités entre pays développés et pays en développement, incitant de plus en plus de gens à tenter leur chance à l’étranger. Sommairement, cette croissance est due à un certain nombre de facteurs qui sont devenus caractéristiques du monde contemporain : outre le processus de mondialisation, les différentiels de développement économique, que nous avons déjà mentionnés, les déséquilibres démographiques, les guerres et l’abus des droits humains, le développement des services de transport et de communication peu coûteux et la croissance des réseaux sociaux transnationaux, peuvent être ajoutés.

Les facteurs d’accélération des migrations internationales sont nombreux, mais on peut les regrouper en trois catégories. La première catégorie réunit des facteurs propres aux pays de départ, qui poussent les populations à l’exil forcé: les troubles sociaux et politiques, la dégradation de l’environnement, les troubles économiques, le manque de revenus et l’absence de perspectives sociales et économiques. La deuxième catégorie englobe ceux qui facilitent l’« expédition » des migrants: un marché de voyage plus accessible, la faiblesse des contrôles frontaliers, le vide juridique dans les pays de transit, les contradictions dans les dispositifs législatifs et administratifs des pays de destination, et les réseaux de trafiquants profitant des lacunes et du vide juridique en matière d’immigration. Une dernière catégorie touche les facteurs qui favorisent l’installation dans un pays d’accueil, c’est-à-dire principalement l’offre légale ou illégale d’emplois, l’accès à l’éducation et aux prestations médicales, les modalités de traitement des demandes d’asile qui diffèrent d’un pays à l’autre, et enfin l’existence ou non de contrôles d’identité sur le territoire de l’État en question.

Les migrations forment, par nature, un phénomène mouvant et à géométrie variable, dont témoigne la diversité des concepts dans la documentation juridique, sociologique, démographique et statistique. De ce fait, les saisir dans toutes leurs dimensions et dans toute leur évolution implique l’analyse tant des normes internationales touchant la

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migration irrégulière que des politiques des États souverains. La persistance de la migration irrégulière, la poursuite du regroupement familial (plus de la moitié des entrées annuelles dans les pays) et le maintien d’un volet de migrants à forte mobilité (saisonniers, techniciens, étudiants et stagiaires) font contrepoids aux politiques dissuasives de maîtrise des frontières (visas instaurés en 1986, contrôle accru du regroupement familial, restrictions du droit d’asile). En même temps, les pays d’accueil, surtout en Europe, veulent arrêter la migration d’établissement sur leur territoire. Cette tendance est accompagnée d’un encouragement à la migration temporaire, qui répond aux besoins du marché du travail, tout en ignorant les besoins des migrants irréguliers à court et à long terme.

Les politiques d’immigration des États sont marquées par des caractéristiques négatives et des caractéristiques positives. D’une part, ces politiques portent les signes de restriction des droits fondamentaux : l’obtention de l’asile politique est plus complexe, en raison de la possible recevabilité de la demande dans un seul pays à la fois2 ; l’écart, quant aux droits sociaux, économiques et politiques, entre Européens et non Européens, pays communautaires et non-communautaires est amplifié; les accords Schengen sont détournés de leur finalité initiale, qui consistaient à rendre plus libre la circulation interne, alors qu’ils aboutissent actuellement à protéger les États contre les migrations externes par le biais des accords de réadmission avec des pays tiers ; les contrôles sont renforcés, le champ pénal est élargi et les politiques migratoires se durcissent. D’autre part, les politiques d’immigration renforcent la coopération bilatérale et multilatérale dans le domaine des migrations internationales, motivent l’adoption de décisions et de positions communes et réaffirment les droits fondamentaux des migrants irréguliers avec l’adoption d’instruments régionaux et internationaux. Un autre aspect des politiques d’immigration est la dissolution de la souveraineté des États, la perte de pertinence de notions comme «frontières» et «territoire». Ce sont des sujets politiquement et

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Les exigences pour les demandeurs d’asile sont réglementées dans les Conventions de Schengen (1985) et de Dublin (1990). Les Conventions prévoient que qu’un demandeur d’asile ne pourra déposer sa demande qu’auprès un seul pays de l’Union européenne. La décision de ce pays valant pour les autres pays membres de l’UE.

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socialement sensibles, qui animent les opinions divergentes autour de la migration irrégulière.

Tous les types de politiques migratoires ont été appliqués ces dernières décennies. Les pays européens ont adopté une attitude plus restrictive vis-à-vis de l’entrée et du séjour des étrangers. Cette attitude découle des mesures compensatoires prises par certains pays européens suite à l’abolition des frontières intérieures dans l’espace Schengen3. Sur le plan européen, la suppression des frontières intérieures avait pour objectif d’éliminer les obstacles qui subsistent à la libre circulation. L’approche sécuritaire en Europe, concrétisée par les accords de Schengen (1985) et le système des visas, aboutit à un déplacement des frontières : si les frontières intérieures s’estompent pour les Européens, elles se renforcent entre les Européens et les non Européens. Les frontières physiques ont été remplacées par des frontières imaginaires.

Certains pays ont même endurci les conditions requises pour procéder au regroupement familial (par exemple en Autriche, au Danemark et aux Pays-Bas), tout en accordant en même temps plus d’importance aux procédures de sélection des nouveaux immigrants, et notamment des travailleurs qualifiés. C’est le cas des pays traditionnels d’installation, comme les États-Unis, le Canada et l’Australie, mais aussi de l’approche adoptée par le Royaume-Uni, la France et la Norvège. Les mesures visant à accélérer l’examen des demandes d’asile et à décourager celles manifestement non fondées ont pris une plus grande dimension.

La tendance actuelle, dans les pays d’accueil, est à renforcer le contrôle des frontières et à développer des moyens de lutte contre la migration irrégulière, le trafic d’êtres humains et le crime organisé, ainsi qu’à décourager le dépôt de demandes d’asile et à échafauder une politique de prévention de la migration irrégulière. Vers l’Europe, les passages se font par le détroit de Gibraltar depuis les côtes marocaines. Chaque année, la Guardia Civile d’Espagne découvre plusieurs cadavres d’immigrants sur ses plages. Vers les 3

L’accord de Schengen a été signé le 14 juin 1985 par cinq des membres de la communauté européenne à cette époque : la République Fédérale d’Allemagne, la Belgique, la France, le Luxembourg et les Pays-Bas. Ne font pas partie des accords Schengen même aujourd’hui le Royaume-Uni, l’Irlande et le Danemark.

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États-Unis, les passeurs mexicains (appelés « coyotes ») font traverser aux migrants irréguliers le Rio Grande ou l’Océan Atlantique dans des conteneurs, en échange de plusieurs milliers de dollars.

La dynamique de la migration est internationale. On ne peut donc pas y répondre efficacement au moyen de la législation d’un seul État membre, pas même par la seule législation de l’Union européenne (ci-après : UE). Il est essentiel que la coopération internationale et l’aide au développement concluent davantage d’accords avec les pays qui sont à l’origine de la migration, et incitent ces derniers à structurer les flux de transferts financiers.

En raison de la multiplicité des facettes du phénomène migratoire, il est nécessaire d’adopter une approche multidisciplinaire afin de saisir le concept de migration internationale en plein mouvement. La Chaire de recherche du Canada en droit international des migrations (CDIM) a mis en place en 2005 un séminaire scientifique annuel destiné à explorer diverses questions liées au phénomène migratoire. L’objectif de l’équipe de la CDIM était de créer un dialogue entre les acteurs du droit et des autres disciplines (en particulier la sociologie, l’anthropologie, la psychologie, la science politique, la démographie et l’économie) qui s’intéressent aux problèmes migratoires4.

La présente note de synthèse accorde une attention particulière aux problèmes politiques, juridiques et socio-économiques liés à la migration irrégulière, à travers un éclairage 4

Le séminaire scientifique 2005-2006 de la Chaire de recherche du Canada en droit international des migrations s’intitule « La complexe dynamique des migrations internationales : dialogue interdisciplinaire sur la conceptualisation du phénomène migratoire » et s’est concentré sur les thèmes suivants : • La migration, constante de civilisation • La migration, logique individuelle dans l’espace social • La migration, facteur de développement • La migration, objectif géopolitique • La migration, enjeu du discours politique et identitaire • La migration, vecteur de transformation sociale • La migration, défi a la souveraineté territoriale • La migration, enjeu sécuritaire • La migration, phénomène clandestin • La migration, vecteur de métissage culturel • La migration, droits de la personne

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porté sur la recherche des racines historiques du phénomène migratoire tout au long de la première partie. La deuxième partie de la note de synthèse présente un panorama de différentes catégories de la migration régulière et irrégulière. La troisième partie fait un bref survol des normes applicables à la migration existant en droit international, tout en analysant le conflit entre la souveraineté des États et les droits humains. Face à la complexité dynamique de la migration irrégulière, nous allons nous pencher dans la quatrième partie de notre analyse sur les déterminants politiques, juridiques, économiques, sociaux et culturels des flux migratoires. La cinquième partie contient des analyses comparatives des politiques concernant la migration irrégulière en Europe, en Amérique du Nord et en Océanie. La dernière partie porte un regard sur les perspectives contemporaines des flux migratoires.

1. Une migration enracinée dans l’histoire de l’humanité: analyse des périodes d’évolution de la migration internationale à travers le XXe siècle et au début du XXIe siècle

1.1. L’évolution de la migration internationale depuis les deux guerres mondiales jusqu’au début du XXIe siècle La migration internationale a toujours été instrumentalisée par des impératifs sociaux et économiques. C’est encore le cas aujourd’hui, même si à cette dimension socioéconomique vient s’ajouter une approche sécuritaire.

Les flux migratoires traditionnels se caractérisent de différentes manières. Ils peuvent être liés à des situations belliqueuses, à des catastrophes naturelles et climatiques, à la pauvreté économique; ils se forment à partir des liens historiques, coloniaux et linguistiques des pays des migrants avec les pays d’installation. Chaque pays a ses « étrangers », résultat d’héritages coloniaux, de liens historiques et diplomatiques ou de la proximité géographique avec des pays touchés par la mobilité de ses citoyens (Allemagne/Turquie, Royaume-Uni/pays du Commonwealth (Inde, Pakistan), France/ Maghreb).

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Si aujourd’hui l’Europe connaît son niveau le plus élevé de migrations internationales, notamment dans l’Europe du Sud (Italie, Espagne, Grèce, Chypre, Portugal)5, la migration de masse n’est pas récente et ne constitue nullement une exception historique. Entre 1830 et 1930, plus de 50 millions de personnes ont quitté le Vieux Continent pour l’Amérique du Nord et du Sud, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, tandis que grand nombre de travailleurs polonais et ukrainiens ont émigré vers les régions minières et industrielles de France (Nord et Lorraine), d’Allemagne (Ruhr et Haute-Silésie) et d’Angleterre (Midlands)6.

Après 1918, sous l’influence des courants nationalistes, de la reconstruction nationale et des pressions – au départ d’ordre politique et idéologique –, liées au remodelage de la carte de l’Europe après la Première Guerre mondiale, les migrations de masse se généralisent au point de faire partie de la formation d’une mémoire collective qui servira à la sauvegarde de l’esprit d’appartenance au pays d’origine (Juifs, Arméniens, Russes). On distingue deux grands groupes d’immigrants à cette époque. Le premier groupe englobe les migrations qui découlent directement de la Première Guerre mondiale : la modifications des frontières, les déplacements de personnes et les « nettoyages ethniques » en lien avec la création de nouveaux États, et enfin, la migration de réfugiés politiques ou ethnico-religieux. Le deuxième groupe rassemble des migrations de recrutement de travailleurs étrangers et de main d’œuvre qualifiée, car la reconstruction nationale et l’industrialisation nécessitent d’énormes ressources, tant énergétiques qu’humaines.

Durant la période après les années 1945, les causes des flux migratoires sont identiques, à l’exception de l’impact des processus de décolonisation7. Ainsi peut-on distinguer six types de migrations de masse nouvellement venus : des déplacements de population liés 5

NEDOS (V.), « Le Sud des Balkans zone de transit », Courrier international, no 814, 8 juin 2006, p. 22. WIHTOL DE WENDEN (C.), Vivre en Europe: L’immigration en Europe, La documentation française, 1999, pp. 11-17. 7 La décolonisation a conduit environ un million de personnes à quitter l’Algérie pour la France après les accords d’Evian et un nombre non négligeable de ressortissants d’Indonésie et du Surinam vers les PaysBas. 6

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aux conséquences de la Seconde Guerre mondiale, des migrations liées à la décolonisation, des migrations post-coloniales, des migrations de main-d’œuvre suivies de regroupement familial, des migrations d’élites et des mouvements de réfugiés politiques.

Il importe de mentionner que durant toute la période de 1914 à 1974, l’oscillation entre le laxisme et la restriction de la politique d’immigration en fonction des aléas de la croissance et de la récession économique indique les priorités nationales de chaque pays en particulier, mais aussi le manque d’une politique commune dans ce domaine.

Toutefois, la question coloniale et la montée du chômage modifient en profondeur les données de la politique d’immigration dans les pays européens. L’année 1967 représente le début de la récession économique, assortie à l’augmentation du chômage, et c’est à ce moment que le patronat, les pouvoirs publics et les syndicats réclament l’arrêt de l’immigration (France, Belgique). En 1974, l’immigration des travailleurs et des familles est suspendue face à la persistance des flux familiaux non contrôlés. La plupart des pays européens décident de suspendre provisoirement leurs flux de main-d’œuvre salariée immigrée au moment de la crise pétrolière, en 1973 et 1974, précédés par le RoyaumeUni qui avait complètement fermé ses frontières à partir de 1962. Les nouveaux pays d’immigration comme l’Espagne, l’Italie, le Portugal et la Grèce se sont dotés de politiques migratoires à la fin des années 1980. À la différence des autres grandes régions traditionnelles d’immigration (les États-Unis, le Canada, l’Australie et la NouvelleZélande), où coexistent une politique incitative en général et une politique répressive d’entrée – puisque des critères de sélection sont élaborés et adaptés aux besoins de chaque pays en question–, l’Europe semble faire le choix de fermer ses frontières, une mesure plus ou moins durable dans le temps.

La politique migratoire à cette époque se caractérise donc par un paradoxe : à l’affirmation d’une suspension des entrées correspond en réalité la mise en place d’un système normatif visant à intégrer les étrangers présents sur le territoire. Cette particularité se double d’une politisation de plus en plus grande de l’enjeu migratoire : le

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régime juridique du séjour des étrangers subit de nombreuses modifications, qui ont pour effet d’accroître l’insécurité juridique et la marginalisation de cette population.

Plusieurs lignes de force sous-tendent la période qui court de la fin des années 1970 à la fin des années 1980. Le caractère toujours plus restrictif des politiques d’immigration irrégulière s’inscrit dans la même logique d’instrumentalisation économique. En effet, la tendance sécuritaire conduit à développer une idéologie de menace au niveau européen, à exagérer les dangers que causerait l’ouverture des frontières au sein de l’espace Schengen. C’est aujourd’hui l’immigration « non contrôlée » (et en particulier islamique) qui constitue la menace principale.

Bien que la construction de l’espace migratoire européen se soit effectuée en plusieurs étapes, il importe de s’attarder sur les accords de Schengen (1985 et 1990), proclamant la libre circulation interne, et ayant abouti au renforcement des frontières externes et à la création de l’Europe forteresse. Les principaux instruments qui ont modelé par la suite la politique migratoire européenne touchent les conditions d’entrée et le système de contrôle. Le premier instrument est l’adoption d’un visa unique de moins de trois mois, obligatoire pour les citoyens des pays non communautaires qui veulent entrer ou circuler comme touristes dans l’espace Schengen. Le deuxième instrument est la liberté de circulation à l’intérieur des frontières européennes pour les Européens et les détenteurs (non communautaires) d’un visa Schengen. Cet instrument met aussi l’accent sur le renforcement des frontières extérieures de l’Union grâce à l’adhésion progressive au système Schengen de nouveaux pays candidats et de pays qui ont demandé une réserve pour sa mise en application (l’Italie, la Grèce), ainsi que sur la solidarité des pays européens dans les contrôles externes menés par les pays situés sur les frontières externes de l’Europe. Le troisième instrument se réfère à l’adoption d’un système informatisé de contrôle, le SIS (système d’information Schengen), pour la mise en ligne des données nationales sur les migrants irréguliers ou les déboutés du droit d’asile, et obligeant tous les États européens à leur refuser le droit de séjour, d’une part, et à les expulser, d’autre part8. 8

WIHTOL DE WENDEN (C.), 1999, L’immigration en Europe : vivre en Europe, Paris, La

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La Convention de Dublin (adoptée le 15 juin 1990 et entrée en vigueur le 1er septembre 1997) reprenant les dispositifs des accords de Schengen, définit une politique d’asile commune. Cette politique repose sur un filtrage renforcé : introduction de la notion de pays sûr, définition des demandes manifestement infondées, sanctions contre les transporteurs, solidarité entre pays européens dans le contrôle à l’entrée, refus pour un demandeur d’asile débouté de demander l’asile dans un autre pays de l’UE (pour éviter les demandes d’asile multiples et « en orbite »).

Ces mesures font référence aux préoccupations des États membres de l’UE face à l’intensification de l’arrivée des réfugiés en provenance de l’Asie de l’Est et du Sud-Est (« boat people ») qui sont vus comme menace et danger pour l’équilibre social et économique. Une distinction est faite entre les « bons réfugiés » qui fuyaient le régime soviétique avant les années 1980 et qui étaient les bienvenus dans les pays européens, et les « mauvais réfugiés » qui viennent du Sud. Le mauvais réfugié est de culture et de « race » différentes des gens de la société d’accueil. Cette nouvelle tendance marque le changement de l’approche adoptée par les États en ce qui concerne les mesures préventives et répressives dans la lutte contre la migration irrégulière.

1.2. Le changement des tendances dans les processus migratoires après les années 1989-1991 La fin des années 1990 a cristallisé la montée du racisme politique, de la crispation et de la méfiance de l’opinion publique face à cette problématique. Nous pouvons constater que la question de la migration irrégulière n’est principalement abordée qu’au travers d’un triple prisme : sécuritaire (une suspicion grandissante au sein des sociétés locales envers les migrants irréguliers), identitaire (une incompatibilité culturelle, des difficultés au niveau de l’intégration de nouveaux arrivants) et enfin, raciste et xénophobe (l’image des migrants comme catalyseurs de tous les problèmes de la société).

Documentation française, pp. 27-29.

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Les bouleversements mondiaux tels que la fin de la Guerre froide, la chute du mur de Berlin, la mondialisation économique et l’approfondissement du fossé Nord/Sud ont fait du thème des migrations internationales, et en particulier des migrations irrégulières, une priorité dans l’agenda politique des États touchés par les flux migratoires. Tous les pays de l’ancien bloc de l’Est sont désormais à la fois pays de départ, de transit et, de plus en plus, d’installation plus ou moins durable.

Aujourd’hui, les foyers d’émigration, les trajectoires empruntées et les caractéristiques des parcours individuels des migrants ne sont plus exactement les mêmes. Les migrations sont dorénavant spontanées, il ne s’agit pas des migrations massives ayant suivi les guerres mondiales. La mondialisation de la circulation de personnes, de biens et de capitaux a eu pour effet d’accélérer la mobilité et d’élargir le nombre de pays et de catégories de personnes concernées par la migration.

À ce changement qualitatif se juxtaposent de nouvelles données liées à la féminisation des flux migratoires et à la mobilité des étudiants, ce qui constitue, entre autres, la première étape de l’exode des compétences. Cependant, l’importance des mouvements des femmes liés aux politiques de regroupement familial est à mettre en doute: elles représentent actuellement 48 % des flux migratoires, selon la division de la population des Nations Unies. Dans ce cas, peut-on parler d’une féminisation des flux migratoires ? Sans généraliser cette nouvelle tendance, il faut noter que cette nouvelle catégorie d’immigrantes s’inscrit avant tout dans une logique individuelle de recherche de conditions de vie et de travail qu’elles ne trouvent pas dans leurs pays d’origine, et d’attentes face aux pays d’accueil fortement idéalisées.

On peut également souligner l’augmentation des entrées d’étudiants étrangers dans de nombreux pays (États-Unis, Australie, Royaume-Uni, Nouvelle-Zélande et Canada). L’accroissement de la mobilité internationale des travailleurs qualifiés, l’assouplissement des conditions d’entrée et de changement de statut et l’internationalisation des instituts de formation supérieurs figurent parmi les causes principales de cette nouvelle tendance

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dans les migrations internationales. L’Afrique subsaharienne est la région au plus fort taux d’expatriation d’étudiants : 14 % en 1990 pour une moyenne mondiale de 2 %.

1.3. Les nouveaux enjeux après les attentats du 11 septembre Nous assistons aussi à un rapprochement des intérêts économiques et de sécurité dans la gestion migratoire, à travers la consolidation d’un espace économique nouveau, délimité par les frontières régionales. Les discussions et les initiatives, tant au niveau européen qu’au niveau international, et surtout après les événements du 11 septembre 2001, ont jumelé les conditions économiques et les questions de sécurité. L’efficacité des politiques nationales d’immigration quant au contrôle des allées et venues des arrivants ont été questionnées, révisées et modifiées afin de répondre aux objectifs de sécurité, tout en respectant les principes économiques et humanitaires qui leur servent de fondement (Voir note de synthèse no? Mesures sécuritaires et anti-terroristes ).

La montée de la migration irrégulière et du crime international est devenu un sujet de préoccupation principal pour les gouvernements. Si les événements survenus le 11 septembre – date qui est devenue symbole de terreur et de fermeture des frontières – ont exacerbé la méfiance envers le monde musulman en général, il faut noter qu’il ne s’agit que d’un élément supplémentaire de la migration irrégulière. Avec le renforcement des lois sur l’immigration en Europe depuis 1974, mais aussi aux États-Unis depuis les années 1990, la migration économique a aussi tendance à devenir illégale. Malgré les mesures restrictives au niveau des politiques d’immigration et malgré les contrôles aux frontières, le développement de l’économie globalisée et les disparités économiques, sociales et culturelles expliquent en partie la pression migratoire qui n’a jamais été si forte depuis les grandes migrations du XIXe siècle. Les réseaux mafieux montrent un intérêt grandissant pour les filières migratoires illégales des pays développés. Selon la Commission mondiale sur les migrations internationales9, plusieurs millions de personnes

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COMMISSION MONDIALE SUR LES MIGRATIONS INTERNATIONALES, Les migrations dans un monde interconnecté : nouvelles perspectives d’action, Rapport, octobre 2005.

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seraient en transit migratoire dans le monde. Parmi les victimes ciblées se trouvent souvent des femmes et des enfants.

1.4. La mondialisation: le rôle de la libéralisation des biens, des services et des capitaux sur la pression migratoire La mondialisation est souvent définie comme l’aboutissement de l’internationalisation des relations entre les États et les autres acteurs sur la scène internationale (sociétés multinationales, réseaux transnationaux, ONG, etc.) à une étape de développement économique ou les barrières physiques s’estompent. La mondialisation10 des échanges humains s’est développée à partir des années 1980 sous l’impulsion de trois facteurs : l’extension de l’économie libérale dans le monde, la mobilité accrue du capital et la restructuration de la production sur des bases géographiques, sectorielles et organisationnelles. Il n’est pas surprenant que, pour la plupart des économistes, les flux migratoires augmenteront au fur et à mesure que la mondialisation progressera11.

On peut considérer que le phénomène des flux migratoires entre dans le processus de la mondialisation. Premièrement, le dépassement des frontières d’un seul État s’est effectué à cause du fait que les migrants constituent une catégorie particulière qui cherche sa place dans un État autre que son État d’origine. Deuxièmement, le phénomène migratoire entraîne l’érosion du cadre étatique et inscrit le phénomène migratoire dans les grands enjeux stratégiques et sécuritaires mondiaux.

Un nouveau questionnement sur les relations internationales a apparu suite à l’impact de la mondialisation. Le modèle étatique classique reposant sur les éléments-clé – tels que le territoire, la population et le gouvernement effectif –, a été remis en question. Les migrants constituent désormais des acteurs de la mondialisation dont l’influence sur le

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SIMMONS (A.), 2002, « Mondialisation et migration internationale: tendances, interrogations et modèles théoriques », Cahiers québécois de démographie, vol. 31, no1, pp. 7-33. 11 PELLERIN (H.), 1993, « Global Restructuring in the World Economy and Migration: the Globalization of Migration Dynamics », Canadian Institute of International Affairs, volume XLVIII, Ottawa, pp. 240254.

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développement économique des sociétés d’accueil n’est pas évaluée actuellement par les États.

L’ensemble du contexte du phénomène migratoire implique la prise en compte de la migration irrégulière et régulière dans l’analyse de la politique internationale de la mondialisation. Les conséquences sont diverses : l’interdépendance de l’ordre interne et de l’ordre externe, le déclin de la primauté de l’État en tant que seul acteur sur la scène internationale, et la remise en question de la souveraineté des États à cause des difficultés particulières du contrôle des frontières nationales.

2. La catégorisation de la migration régulière et de la migration irrégulière La migration internationale est souvent définie comme un changement de résidence impliquant le passage d’une frontière internationale à une autre. Ce changement de résidence peut être permanent ou temporaire et peut se faire avec ou sans documents « officiels » délivrés par les autorités compétentes. La migration internationale, comme définie ici, comprend les migrations régulière et irrégulière.

2.1. La migration régulière D’une façon générale, les législations nationales relatives à l’immigration demeurent restrictives en droit. Depuis le milieu des années 1970, la plupart des États européens ont réduit de manière drastique l’immigration extra-communautaire à caractère économique. Il existe trois grands types de migration régulière vers l’UE12. Quelques rares catégories de personnes semblent désormais autorisées à immigrer : les étudiants, les stagiaires et les personnes pouvant faire valoir des qualifications exceptionnelles. La première catégorie de migration régulière regroupe l’immigration généralement définie comme étant économique et obéissant aux mécanismes du marché. Les autres voies légales 12

Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen. Une politique communautaire en matière d’immigration, COM (2000) 757 final du 22 novembre 2000.

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d’immigration se sont limitées au regroupement familial et à la demande d’asile. La dernière catégorie de migration régulière est fondée sur des motifs humanitaires. Au cours de ces dernières décennies, l’ensemble de ces voies a été harmonisé par des conditions d’application plus exigeantes, tant pour le regroupement familial que pour le droit d’asile. À cette politique restrictive s’est ajoutée une lutte intensive et concertée contre la migration irrégulière.

2.1.1. La migration économique Le plein emploi, l’inclusion sociale, l’égalité et l’anti-discrimination sont déclarés par l’UE comme étant des objectifs principaux dans son agenda de politique sociale. En ce qui concerne la migration économique (migration motivée dans le but de travailler dans le pays d’accueil), l’UE connaît un déficit non seulement de travailleurs qualifiés, mais aussi de certains travailleurs non qualifiés (travaux saisonniers et à court terme). Par contre, ce besoin est spécifique et diffère d’un pays à l’autre. De même, la réglementation en cette matière est laissée à la discrétion des autorités nationales de chaque pays. L’admission pourrait se faire à condition que le candidat à l’immigration légale ait, étant dans son pays d’origine, une offre d’emploi pour travailler dans un pays membre de l’UE, et à condition d’obtenir une autorisation officielle de séjour pour venir y chercher du travail13.

Il a été reconnu par les spécialistes que le travail au noir, important d’un point de vue économique, met un frein aux processus de restriction des flux migratoires illégaux. À titre d’exemple, les États-Unis et certains pays de l’Europe ferment les yeux sur la migration irrégulière, ce qui est une « indication de la reconnaissance implicite des

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Il est important que tant les personnes possédant un permis de séjour à durée illimitée que les travailleurs saisonniers puissent retourner dans leur pays d’origine avec la certitude qu’elles pourront revenir pour une nouvelle période de travail saisonnier si elle en manifestent le souhait. Dans ce sens, la politique d’immigration économique contrôlée en Grèce peut nous servir d’exemple. Voir à ce propos, l’allocution de Mme V. Papandréou, Ministre de l’Intérieur, de l’Administration publique et de la Décentralisation de la Grèce, Conférence sur la « Migration irrégulière et dignité des migrants : coopération dans la région méditerranéenne », Athènes, 3 et 4 octobre 2001, Conseil de l’Europe.

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avantages économiques qu’elle procure à un pays, en tout cas en période de prospérité économique»14.

2.1.2. Le regroupement familial Les dispositions législatives concernant le regroupement familial varient d’un pays à l’autre. En général, le regroupement familial est réservé aux membres de la famille d’un étranger titulaire d’un titre de séjour. De plus, l’étranger autour duquel s’effectue le regroupement doit assurer une durée minimale de résidence dans le pays. L'attribution de titres de séjour aux membres de la famille suit le statut légal de la personne à l’origine du regroupement. Ceci justifie l’existence de conditions de revenus et de logement. Ces dernières ne sont cependant pas applicables dans le cas des réfugiés titulaires du droit d’asile.

Il faut souligner que les États ne sont liés par aucune disposition de droit international qui garantirait le regroupement familial. L’article 13, paragraphe 1 de la Convention no 143 du Bureau international du travail (BIT) stipule que « Tout Membre peut prendre toutes les mesures nécessaires, qui relèvent de sa compétence et collaborer avec d'autres Membres, pour faciliter le regroupement familial de tous les travailleurs migrants résidant légalement sur son territoire ». L’article 6 de la Convention no 117 de l’Organisation internationale du travail (OIT) (1962) concernant les objectifs et les normes de base de la politique sociale, affirme que « lorsque les circonstances dans lesquelles les travailleurs sont employés exigent qu’ils résident hors de leurs foyers, les conditions de leur emploi devront tenir compte de leurs besoins familiaux normaux ». La notion du regroupement familial a suscité des désaccords entre les pays d’émigration et les pays d’immigration, en particulier en ce qui concerne les migrations temporaires.

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COLLISON (S.), 1993, « Europe and International Migration », Royal Institute of International Affairs (London: Pinter Publishers London and New York).

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L’unité familiale et le regroupement familial font l’objet aussi de l’article 44 de la Convention de 1990 des Nations Unies sur les travailleurs et les membres de leurs familles. Le droit de vivre en famille est défini comme étant « l’élément naturel et fondamental de la société » et comme ayant « droit à la protection de la société et de l’État ».

À partir de 1974, les pays ont décidé de mettre un « stop à l’immigration » de nouveaux travailleurs. Parallèlement, ils ont pris des mesures pour contrôler la migration irrégulière et régulariser quelques milliers de travailleurs immigrés « sans papiers ». Toutefois, le regroupement est peut-être une des raisons principales pour lesquelles il est permis de dire qu’il n’y pas eu de véritable « stop à l’immigration ». De toute façon, il va de soi qu’il ne peut pas être question de restreindre l’exercice de ce droit indéniable de la personne.

2.1.3. La migration humanitaire (réfugiés et demandeurs d’asile) La question des réfugiés est un problème mondial qui touche un nombre toujours plus important de personnes et de pays. On observe, au milieu des années 1990, une explosion des demandes d’asile, suivie d’une décrue.

La protection des réfugiés reste fermement basée sur les principes humanitaires contenus dans la Convention de Genève (1951) et le Protocole sur le Statut des réfugiés (1967). Selon la Convention de Genève de 1951,

« (…)

le terme de réfugié s'applique à toute

personne (…) qui (…) craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ».

Dans le cas du demandeur d’asile, l’individu est physiquement et personnellement menacé en raison de ses idées et, de cette manière, se distingue socialement du migrant économique. Toutefois, les réfugiés sont souvent associés à la catégorie des migrants

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irréguliers et leur protection internationale s’en trouve considérablement affaiblie. Il est facile de démontrer à quel point le régime des droits des réfugiés est malmené depuis une quinzaine d’années. Ainsi, les pays d’accueil devraient-ils consentir des efforts en vue d’intégrer les réfugiés et les membres de leur famille dans le marché de l’emploi et dans la société du pays d’accueil.

2.2. Les migrations irrégulières L’expression « migration irrégulière » est utilisée pour désigner divers phénomènes, notamment l’entrée illégale de ressortissants de pays tiers sur le territoire d’un État autre que l’État d’origine, par voie terrestre, maritime ou aérienne, y compris par les zones de transit aéroportuaires. La Convention no 143, adoptée par la Conférence du Bureau international du travail en 1975, définit les migrations irrégulières comme celles où les migrants se trouvent « au cours de leur voyage, à leur arrivée ou durant leur séjour ou leur emploi, [dans] des conditions contrevenant aux instructions, aux accords internationaux, multinationaux ou bilatéraux pertinents ou à la législation nationale ». Cette définition met l’accent sur les divers aspects de l’irrégularité de cette catégorie de migrants : l’entrée, le séjour dans le pays d’accueil et l’exercice d’une activité. Pour les fins de cette note de synthèse, nous utiliserons l’appellation migrants irréguliers car la notion des migrants clandestins ou illégaux se réfère à la criminalité et à d’autres activités interdites par la loi.

Contrairement au fait que la migration irrégulière soit souvent présentée comme une réalité unique et homogène, il faut que nous soyons attentifs à ce qu’elle recouvre une diversité de situations semblables quoique tout à fait différentes. Il n’y a pas une seule catégorie de migrants irréguliers, mais les situations sont diverses et n’obéissent pas aux mêmes règles, et, à plus forte raison, n’appellent pas les mêmes méthodes de prévention. Certains individus présentent de faux documents à la frontière, d’autres tentent de la traverser en dehors des postes frontaliers ou de déjouer les contrôles en s’introduisant illégalement dans des trains, des camions, des voitures, des autocars ou des caravanes,

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des navires de commerce, des conteneurs de marchandises ou même le train d’atterrissage des avions. D’autres entrent au pays légalement munis d’un visa (parfois obtenu frauduleusement). L’irrégularité de leur séjour n’intervient qu’à une étape ultérieure, et découle de raisons diverses : le non renouvellement des visas après la date d’expiration, l’entrée au pays en tant que touriste suivie d’une prolongation illégale du séjour, les tentatives de légaliser le séjour illégal par un « mariage blanc » avec un citoyen du pays de résidence. S’ajoute aussi à la liste la situation des déboutés du droit d’asile qui, après le rejet de leur demande, refusent de quitter volontairement le territoire du pays.

Toutefois, il y a plusieurs cadres d’analyse du phénomène migratoire. Le premier cadre d’analyse considère que la migration irrégulière constitue un risque pour la stabilité et la cohésion sociales. Par sa simple existence, qu’elle soit légale ou illégale, la migration en général modifie le rapport de force au sein d’une société. De même, elle transforme les identités collectives d’une nation. Le deuxième modèle d’analyse se penche sur le caractère criminel de la migration irrégulière. Vue comme une menace criminelle transnationale, elle justifie la coopération des polices et des justices au-delà des frontières nationales d’un État. Un troisième modèle voit la migration irrégulière comme une menace externe à la sécurité des États. La migration non contrôlée représente un risque au sens de la défense nationale. Pour le dernier modèle d’analyse, la migration irrégulière est un phénomène social à la croisée des problématiques du droit, de la sociologie et de l’histoire. Le seul cadre d’analyse permettant un débat fécond sur la problématique est selon nous le dernier. Les autres ont inévitablement des effets pervers sur le phénomène migratoire et laissent de côté des questions d’importance.

2.3. D’autres phénomènes liés aux mouvements migratoires contemporains : la traite et le trafic illicite des migrants La traite et le trafic illicite des migrants retiennent de plus en plus l’attention de la communauté internationale, du fait de leur croissance et de leurs liens avec, notamment, la migration irrégulière. Il faut préciser que la traite a toujours existé. En effet, ces

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phénomènes liés aux mouvements migratoires contemporains ont des rapports avec les droits humains, le crime international et les questions de sécurité nationale. Alors que beaucoup de confusion a entouré la distinction entre « trafic» et « traite», le Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, mer et air (« Protocole contre le trafic ») et le Protocole visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants (« Protocole contre la traite ») – tous deux additionnels à la Convention des Nations Unies contre le crime transnational organisé (2000) – éclairent la distinction entre ces deux notions. Le trafic est largement défini comme le fait d’assurer l’entrée illégale d’une personne dans un État duquel elle n’est pas ressortissante ni résidente permanente, afin d’en tirer un avantage matériel, alors que la traite est caractérisée par des composantes telles que la contrainte et par le fait d’être motivée par l’intention d’exploiter (l’exploitation étant définie de manière non exhaustive, comme « l’exploitation de la prostitution des autres ou toute autre forme d’exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, l’esclavage ou les pratiques similaires à l’esclavage, la servitude ou le prélèvement d’organes », article 3(a) du Protocole contre la traite).

Le trafic et la traite des migrants sont devenus des problèmes généralisés, qui affectent conjointement les pays d’origine, de transit et d’accueil, leurs relations internationales, leur sécurité et leur économie. En Afrique15, en Asie et dans d’autres parties du monde, le trafic et la traite des migrants existent en partie à cause du déclin des possibilités de migration régulière. C’est aussi le résultat direct de conditions économiques difficiles dans les pays d’origine. On sait aussi que ce ne sont pas toujours les plus pauvres qui migrent, mais ceux qui ont un réseau16. Il est très difficile de colliger des données à ce sujet, mais la traite et le trafic, auparavant rares phénomènes, sont en permanente augmentation et les migrants se risquent maintenant à utiliser des filières dangereuses pour entrer dans des pays dont l’accès est interdit. Par exemple, les interpellations sur les côtes espagnoles d’étrangers tentant de s’introduire illégalement, en franchissant les quinze kilomètres du détroit de Gibraltar, sont en hausse constante depuis les années 15

SALIBY (H.) et COLLET (A.), « Le calvaire des clandestins », Courrier international, 2 août 2006 ; PRIETO (J.), « Aux Canaries, les clandestins ne font que passer », Courrier international,no 812, 24 mai 2006, p. 22. 16 MILLMAN (J.), « Pauvreté ne signifie pas émigration », Courrier international, 8 juin 2006, p. 56

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199017. Il faut ajouter au calcul les opérations effectuées par les autorités marocaines. Le détroit de Gibraltar, on le sait, constitue une des principales portes d’entrée illégale dans l’UE.

3. Le droit international applicable à l’immigration irrégulière À l’aube du XXIe siècle, la communauté internationale comprend désormais mieux l’ampleur et l’influence de la migration internationale sur la société mondiale en général et sur les États en particulier. La migration internationale présente quelques dilemmes préoccupant les dirigeants étatiques – qu’ils soient liés à des préoccupations sécuritaires, économiques, démographiques, sociales, culturelles ou relatives aux droits humains. Le véritable problème est de déterminer quel est le meilleur moyen que les États peuvent utiliser sur les plans national et international afin de maximiser les contributions positives de la migration internationale, surtout quand il s’agit de réduire la pauvreté et de favoriser le développement, tout en atténuent les risques que courent les personnes particulièrement concernées par la migration irrégulière. La gestion de telles tensions est possible par la coopération internationale entre les États et par le respect et la promotion des droits humains.

3.1. Le principe de la souveraineté des États versus le droit international en matière de droits de la personne Tout d’abord, la société internationale est une société interdépendante incitant les États à coopérer dans des domaines de plus en plus nombreux, mais il s’agit toujours d’une société décentralisée, dominée par le principe de la souveraineté territoriale des États. Selon ce principe de droit international, chaque État est réfractaire à toute contrainte extérieure et farouchement attaché à sa souveraineté. Ce principe découle des articles 2(4) et 2(7) de la Charte des Nations Unies, qui interdisent l’ingérence dans les affaires intérieures des États souverains. Vu que la gestion de la migration, tant régulière 17

CHAMBRAUD (C.), « Madrid sollicite l’aide de Bruxelles pour endiguer l’afflux de migrants africains aux Canaries », Le Monde, International, 25 mai 2006, p. 6.

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qu’irrégulière, constitue le noyau dur de la souveraineté territoriale, les États restent réticents à l’idée de céder l’exercice d’une partie de leurs pouvoirs étatiques à une institution supranationale. L’exemple des divergences existant entre les États membres de l’UE dans le domaine de la migration irrégulière démontre qu’il est extrêmement difficile de parvenir à un consensus entre des pays aux politiques migratoires très différentes. Ainsi, l’acceptation de la libre circulation des personnes sur le territoire commun européen – la première véritable percée dans la souveraineté territoriale, couronnée par l’abandon du contrôle des personnes à l’intérieur des frontières de l’Europe –, est limitée aux « citoyens européens ».

Le débat sur les politiques migratoires des États, sur la souveraineté étatique et sur l’impact de la mondialisation a révélé l’existence de trois camps d’opinion sur l’avenir de l’État et la gestion de la migration internationale. Le premier camp affirme que la souveraineté des États est affaiblie et considérablement menacée suite à la mondialisation. Le pouvoir de contrôler les flux des personnes au-delà de leurs frontières, de déterminer les conditions de séjour et d’installation des migrants, de définir les conditions d’acquisition de la nationalité qui déterminent un des éléments constitutifs des États, de leur population, sont les éléments au centre de cette inquiétude18. S’appuyant sur le principe classique de la souveraineté territoriale, la plupart des États considèrent qu’ils doivent pouvoir déterminer librement et sans contrainte extérieure les catégories de personnes qui peuvent entrer ou rester sur leur territoire. Le deuxième camp souligne que les questions de contrôle des frontières et de nationalité sont les seuls domaines où la compétence de l’État est demeurée intouchable et intacte19. Les nouvelles exigences de la coopération internationale dans la gestion de la migration irrégulière ont fait apparaître un troisième camp d’opinions. Cette nouvelle approche englobe, d’une part, la transformation des modalités de contrôle étatique, et d’autre part, la construction d’un 18

SASSEN (S.), 1998, « The De Facto Transnationalizing of Immigration Policy », dans JOPPKE (Ch.), Challenge to the Nation-State, Immigration in Western Europe and the United States (Oxford: Oxford University Press). 19 FREEMAN (G.), 1998, « The Decline of Sovereignty? Politics and Immigration Restriction in Liberal States », dans JOPPKE (Ch.), Challenge to the Nation-State, Immigration in Western Europe and the United States (Oxford: Oxford University Press); HELLIFIELD (J.), 2000, « Migration and the New International Order: The Missing Regime », dans BIMAL (G.), Managing Migration. Time for a New International Regime? (Oxford: Oxford University Press).

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ordre mondial fondé sur la reconfiguration des politiques migratoires étatiques susceptibles d’ordonner de nouvelles dynamiques migratoires selon de grands principes généraux de droit international.

Aux termes de ces réflexions, il faut dire qu’il appartient aux États d’être plus réceptifs et d’assumer pleinement leurs engagements internationaux, proclamés dans le domaine de la migration internationale. Ainsi, les initiatives multilatérales et les logiques qui en découlent, basées en particulier sur le droit international en matière de droits humains, font en sorte que les États ne peuvent plus se dérober derrière leur souveraineté afin de ne pas respecter leurs engagements internationaux20.

3.2. Création d’un corpus juridique de règles applicables aux migrants irréguliers Le droit international joue un double rôle en matière de migration internationale. D’une part, il élabore la définition et la protection des droits des personnes impliquées dans la migration, et d’autre part il indique les droits et les obligations des États dans les relations réciproques découlant de leurs engagements internationaux et régionaux. L’ensemble de ces règles de droit constitue le droit international de la migration. C’est la branche du droit international actuellement en pleine évolution, et qui met l’accent sur le caractère objectif et intégral des règles de droits humains, leur interdépendance et leur indivisibilité, et la réaffirmation de la jouissance des droits humains par toutes les personnes sans exclusion.

La protection des droits humains des personnes impliquées dans la migration a connu un développement considérable au cours de ces vingt dernières années. Tout d’abord, mentionnons le développement du corpus juridique des droits humains, qui a éclipsé les droits des étrangers ; ensuite les droits des réfugiés ; les droits des travailleurs migrants ; certains éléments du droit international humanitaire ; les conventions particulières relatives aux droits des enfants et aux droits des femmes, à la non discrimination, à 20

PELLERIN (H.), 2004, « L’intégration économique et sécurité : nouveaux facteurs déterminants de la gestion de la migration internationale, IRPP Choix, vol. 10, no 3, p.20.

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l’interdiction de la torture, à la lutte contre la traite et le trafic illicites des migrants ; et pour son importance pour les migrants, la Convention de 1990 des Nations Unies sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille.

Au niveau mondial, les gouvernements n’ont jamais cessé d’affirmer les droits humains des migrants et de leur famille. Cependant, l’application explicite aux migrants internationaux de la protection des droits humains et la prise en charge des droits spécifiques des groupes vulnérables, tels que les enfants et les femmes, a été lente à s’affirmer. Il a fallu environ 13 ans pour que la Convention de 1990 des Nations Unies entre en vigueur en 2003 – après sa ratification par le nombre minimal de pays requis.

Jusqu'à passé récent, on estimait que le droit national jouait un rôle primordial, du fait que la gestion de la migration constituait le noyau dur de la souveraineté des États. Le droit international occupait une place secondaire en matière de migration. On ne peut cependant parler des rapports entre droit international et migration à la lumière des changements profonds et radicaux intervenus dans le domaine de la migration sans mentionner brièvement au moins deux éléments. Le premier élément concerne l’existence d’une multitude de préceptes, principes, standards, déclarations et pratiques, qui, n’ayant pas tous de force contraignante, créent le fondement de futurs engagements entre les États et guident leur comportement dans la gestion de la migration. Le deuxième élément est l’institutionnalisation de la gestion internationale de la migration. Un droit mou (« soft law ») s’est développé au sein de nombreuses initiatives régionales et multilatérales (Voir Note de synthèse sur la Coopération internationale).

Les constatations sur l’évolution du droit international de la migration sont nuancées et complexes. La protection internationale des migrants doit être réexaminée à la lumière des développements de la société internationale, de l’évolution du droit international et des politiques migratoires des États. Il faut aussi que l’on tienne compte des changements considérables dans le domaine de la migration, notamment sa visibilité, son impact politique et social, sa croissance démographique et les interdépendances créées entre les pays de départ, de transit et d’accueil.

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3.3. Les droits des migrants irréguliers De nombreux droits humains reconnus internationalement sont applicables aux noncitoyens comme aux citoyens sur l’ensemble du territoire d’un État. Les droits à la liberté, à une protection absolue contre la torture et les traitements inhumains, à l’éducation et à la santé, à l’égalité de traitement dans l’emploi, à l’inscription à des syndicats et à la jouissance des jours de repos, par exemple, sont des droits humains qu’en vertu du droit international tout État est tenu de respecter, sauvegarder et mettre en œuvre – quelle que soit la nationalité ou le statut légal de la personne concernée. Cependant, dans la pratique, les pays limitent certains droits humains à leurs ressortissants uniquement, et de cette manière font des distinctions entre migrants réguliers et irréguliers. Ceci relève forcement de leur souveraineté, mais la tendance actuelle est l’assurance d’une protection effective tant aux migrants réguliers qu’aux migrants irréguliers. Cette approche permet d’éviter « le passage de la conception de la migration comme expression de la rationalité individuelle, consacrée par le principe libéral du droit de quitter son pays, à celle de la migration comme crime dont les victimes sont les migrants, sujets à des pratiques frauduleuses et des traitements inhumains »21.

L’instrument le plus important en matière des droits des migrants demeure la Convention des Nations Unies sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille. Il faut souligner qu’aucun pays développé n’a encore signé la Convention. Le concept de droits fondamentaux inhérents à la personne, pierre angulaire du droit international en matière de droits de l’homme, a été réaffirmé par la Convention dans son approche des droits humains pour tous. Abstraction a été faite du statut légal des migrants, des liens de nationalité, des impératifs catégoriques de légalité, des intérêts économiques, du protectionnisme national et des interférences de la souveraineté.

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PELLERIN (H.), 2003, « Vers un nouvel ordre migratoire mondial », Revue canadienne de science politique, vol. 36, no 2, pp. 363-380, à p. 373.

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L’article 1 stipule que la Convention s’applique à tous les travailleurs migrants et aux membres de leur famille sans distinction aucune et quel que soit leur statut migratoire (régulier comme irrégulier). L’article 2 donne la définition de « travailleur migrant » : il désigne les personnes qui vont exercer, exercent ou ont exercé une activité rémunérée dans un État dont elles ne sont pas ressortissantes. L’article 4 précise la notion de « membres de la famille » : elle désigne les personne mariées aux travailleurs migrants ou ayant avec ceux-ci des relations qui, en vertu d’une loi applicable, produisent des effets équivalant au mariage, ainsi que leurs enfants à charge et autres personnes à charge qui sont reconnues comme membres de la famille en vertu de la législation applicable ou d’accords bilatéraux ou multilatéraux applicables entre les États intéressés. La troisième partie de la Convention couvre les droits de tous les travailleurs migrants, qu’ils soient en situation régulière ou non (Voir Note de synthèse no ? Conditions socio-économiques des migrants irréguliers).

L’article 7 est aussi important puisqu’il précise les responsabilités des États parties : « les États parties s’engagent à respecter et à garantir à tous les travailleurs migrants et aux membres de leur famille se trouvant sur leur territoire et relevant de leur juridiction les droits reconnus dans la présente Convention sans distinction ».

Néanmoins, la Convention ne remet pas en question le pouvoir exclusif des États de définir leurs politiques migratoires. D’une part, la Convention est explicite sur le respect de la souveraineté nationale. D’autre part, la protection internationale des migrants irréguliers plaide pour une gestion davantage multilatérale, mais uniquement dans un contexte de coopération entre les États qui demeurent souverains en matière de politiques migratoires. L’article 79 de la Convention est d’ailleurs formelle sur cette question : « Aucune disposition de la présente Convention ne porte au droit de chaque État partie de fixer les critères régissant l’admission des travailleurs migrants et des membres de leur famille. Pour le reste, la Convention s’applique.».

Les politiques migratoires reposent donc sur les conséquences que les migrations peuvent avoir sur les pays concernés : si elles sont positives, les gouvernements préconiseront des

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politiques de migration plus ouvertes. En revanche, si les migrations déstabilisent l’équilibre national, elles seront restreintes. Il faut souligner qu’il y a aussi le courant actuel de pensée qui s’appuie sur une présomption positive de la migration dans ses effets bénéfiques sur le développement économique des pays.

Il est force de constater que les instruments internationaux et régionaux laissent aux Etats le soin de déterminer leurs politiques d’immigration nationales et les dispositions concernant le statut et les droits des migrants. Les politiques d’immigration des Etats sont fort différentes car chaque Etat prend en considération ses propres besoins économiques et sociaux à court et à long terme. En même temps, tous les pays d’accueil cherchent à limiter la migration irrégulière et l’emploi de travailleurs en situation irrégulière, mais manquent de volonté et de moyens de le faire de manière transparente et raisonnable.

4. Les déterminants des politiques de maîtrise de la migration irrégulière La venue et l’installation de ressortissants étrangers sur le territoire national peut avoir un impact social, économique et démographique variable qui dépend de nombreux facteurs, dont le profil des migrants (âge, qualifications et expérience professionnelle, connaissances linguistiques), la situation économique du pays d’accueil et la composition de la population de ce pays en termes ethniques et culturels.

4.1. Aspect social : l’intégration des migrants en défaveur du renforcement de la maîtrise des flux migratoires La plupart des pays européens utilisent différents moyens afin de restreindre les flux migratoires. L’éventail est large : un contrôle strict des entrées et une réduction des installations durables, une politique sociale nationale ouvertement discriminatoire et une politique d’intégration obligatoire dans la société d’accueil visant l’assimilation des nouveaux migrants. Tandis que les catégories d’entrants se multiplient, les possibilités de devenir membre des sociétés d’accueil semblent se restreindre : les difficultés d’accès à

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la nationalité et au statut de résident ainsi que le débat sur la légitimité du bénéfice des politiques sociales comptent parmi les difficultés insurmontables.

À la différence des États-Unis, du Canada ou de l’Australie, pays pour lesquels l’immigration fait partie des principes fondateurs de la nation, aucun pays d’Europe ne se voit comme un pays d’immigration. Par contre, l’accent mis sur les politiques de maîtrise des flux migratoires plutôt que sur la création d’une philosophie des politiques d’immigration, peut expliquer les disparités entre ces deux approches. Nous voyons les conséquences des politiques nationales des pays européens qui maintiennent des populations pendant une longue durée dans un statut précaire comme ayant une incidence directe sur leur intégration socio-économique.

Le Canada est souvent cité comme un modèle intéressant pour l’élaboration de nouvelles politiques migratoires, tant en raison de sa politique d’ouverture conditionnelle des frontières en matière d’immigration économique qu’en raison de son approche de l’intégration des migrants en terme d’octroi de la citoyenneté canadienne. Ses politiques se caractérisent par son approche anti-discriminatoire basée sur l’intégration et le multiculturalisme.

En dépit des dernières avancées au sein de l’UE, et surtout avec le traité d’Amsterdam (1997), la plupart des politiques relatives à l’intégration (séjour, naturalisation, intégration sociale) demeurent largement une prérogative de l’État-nation ou des autorités locales. En fait, les accords bilatéraux ou internationaux portent plus sur la gestion des flux migratoires (asile, contrôle des frontières, visas, liberté de circulation et d’installation des citoyens européens) que sur la migration légale et l’intégration des migrants. 4.2. Aspect économique : acceptation des migrants qualifiés n’ayant pas de droits dans la société d’accueil En ce qui a trait aux questions relatives à la migration et à la mobilité, le monde semble avoir atteint un point tournant. Les capitaux, les biens, les idées circulent d’un coin du

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monde à l’autre. Les possibilités pour les travailleurs hautement qualifiés de certains secteurs (technologie de l’information, enseignement supérieur, soins de santé) ne sont pas mesurables aux obstacles de taille rencontrés par les travailleurs peu qualifiés, les demandeurs d’asile et les personnes qui désirent rejoindre les membres de leur famille déjà à l’étranger.

De plus, la crise a transformé les critères de « désirabilité » des migrants (aux États-Unis, au Canada et en Australie) : on ne veut que des « cerveaux » et, lorsque l’on veut des travailleurs pour des secteurs précis, on ne les accepte pas nécessairement comme des participants de plein droit dans la société d’accueil. A titre d’exemple, Singapour introduit une nette distinction entre les personnes non qualifiées (foreign power) et les personnes hautement qualifiées (foreign talent), ce qui entraîne un traitement différencié non seulement par rapport aux critères de sélection mais aussi par rapport au statut des étrangers au sein de la société d’accueil22.

Dans plusieurs cas, les pays ont besoin d’une main-d’œuvre flexible et bon marché pour occuper des postes peu attrayants pour les nationaux du pays en cause, mais aussi pour compenser leur main-d’œuvre décroissante et vieillissante.

Le travail illégal d’étrangers est une des modalités de la dérégulation de la condition salariale. Le recours à la main-d’œuvre irrégulière est structurel dans les secteurs de l’économie à faible productivité, forte intensité de main-d’œuvre et faible intensité de capital. Nous constatons aussi une absence évidente de volonté politique de lutter contre le travail illégal. Quand ce contrôle existe, il se retourne contre les travailleurs et non contre les employeurs.

4.3. Aspect culturel : abolissement des frontières et rencontre de cultures et traditions diverses

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HIEBERT (D.), « Les compromis des politiques en matière d’immigration », Bulletin mondial Metropolis, volume 4, septembre 2004, pp. 6-7.

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Les approches de fermeture des frontières, de « préservation » des sociétés d’accueil, d’exclusion sociale (France) ou d’assimilation dans la société d’accueil (Pays-Bas) sont largement favorisées en Europe. À la lumière des politiques migratoires des États, la préservation de la mixité culturelle, les droits humains, le rayonnement d’aires culturelles autour de l’Europe – comme la francophonie –, la coopération et le respect entre les communautés culturelles, linguistiques et religieuses, est difficilement réalisable, voire illusoire. D’un point de vue culturel, l’immigration peut être perçue comme un enrichissement. La rencontre de cultures et de traditions diverses peut être vécue comme un gage d’ouverture d’esprit et un vivier de créativité artistique. Les nouveaux arrivants sont d’autant mieux acceptés si la population du pays d’accueil est cosmopolite. Les politiques de multiculturalisme, d’accès à l’égalité et de lutte contre le racisme faciliteront l’intégration des migrants et assureront la création de sociétés multiculturelles et multiethniques.

4.4. Aspect politique : choix entre la sécurité et les droits humains À la différence des grandes régions traditionnelles d’immigration, l’Europe considère l’immigration de masse comme une exception de séjour provisoire et que l’on peut renvoyer aisément après avoir accompli les besoins de courte durée. Les États restent extrêmement réticents à l’idée d’ouvrir largement leurs frontières. C’est une philosophie de politique d’immigration qui anime les milieux politiques des États et qui est perçue comme une menace à la souveraineté étatique et aux capacités de maîtriser la circulation des personnes et des biens sur leurs territoires. Malgré une certaine convergence des vues sur la nécessité d’adopter une politique cohérente sur la migration irrégulière et sur l’urgence de la question, l’idée que la sécurité nationale d’un État cède la place à une ouverture des frontières n’est pas envisageable dans les années à venir.

Le resserrement des contrôles et l’intensification de la répression se font le jeu des réseaux de travail du trafic des migrants irréguliers, mais en outre, nous assistons à une production officielle du nombre de sans-papiers. Ce sont des controverses entre les intentions annoncées par les décideurs politiques et les images de la réalité quotidienne

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alimentant les médias et forgeant une opinion publique de plus en plus négative envers les migrants irréguliers.

Comment peut-on changer la construction politique qui voit le fait migratoire comme « objet de menace » pour les sociétés et sa « criminalisation » à travers des dispositifs législatifs mis en place afin de s’en prémunir ? Comment avoir une politique homogène en Europe quand il existe des disparités entre le Nord et le Sud en matière de régularisation des séjours comme mode de gestion des flux migratoires ? Les réponses à de tels dilemmes sont contradictoires : d’un côté, le renforcement de l’Europe sécuritaire et de l’autre côté, la crainte d’une menace sur la souveraineté nationale, sont difficiles à concilier.

De toute manière, la politique de contrôle des flux migratoires doit être à la fois suffisamment répressive pour assurer la précarité et la vulnérabilité des migrants irréguliers et suffisamment indulgente pour que ces migrants irréguliers continuent à venir fournir leurs services au marché. Il s’agit en d’autres mots de ne pas criminaliser une majorité de migrants irréguliers, de ne pas les précariser sans leur accorder de droits et de ne pas en expulser une minorité en poursuivant le but de faire pression sur les autres candidats immigrants.

4.5. Aspect juridique : les migrants irréguliers à la merci des États L’irrégularité du migrant découle des règles juridiques fixant les droits d’entrée et de séjour du pays dans lequel il se trouve installé. L’État est souverain de réglementer les matières juridiques touchant la migration irrégulière. À l’opposé, la liberté de circulation et le choix du lieu de résidence sont considérés comme des droits fondamentaux de l’homme. La contradiction apparente dans ce cas est que cette « liberté fondamentale » se heurte fortement au droit reconnu aux États de décider qui est autorisé à entrer, à s’installer ou à travailler sur leur territoire, exception faite à l’obligation de respecter les engagements régionaux et internationaux. Les États, à force d’adopter des dispositions restrictives d’immigration, sont en effet obligés de s’incliner devant la politique

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commune adoptée (exemple : espace Schengen). Il existe aussi une autre exception : les engagements des États découlant du droit international face aux droits de la personne et au droit des réfugiés.

Tous les pays ont renforcé leurs législations sur les conditions d’entrée, de séjour et d’emploi des étrangers, autant que sur le droit d’asile. De même, les techniques d’identification des personnes se sont améliorées, les pouvoirs des administrations ont été renforcés, tandis qu’ont été restreintes les possibilités d’appel de décisions de non admission et de renvoi (Voir Note de synthèse no 4 Renvoi : la politique communautaire de l’Union européenne).

4.6. Opinion publique : dégradation de l’image de la migration irrégulière Sur le plan intérieur, l’image de la migration irrégulière n’a cessé de se dégrader et d’empirer ces dernières années. Auprès de fractions de plus en plus large de l’opinion, l’idée que la migration, tant régulière qu’irrégulière, constitue plus qu’une contrainte, mais une menace pour l’équilibre économique et social d’un pays, s’affermit. Ainsi, la nouveauté de ces quinze dernières années a été la construction politique du fait migratoire comme « objet de menace » envers la cohésion sociale des sociétés d’accueil, ainsi qu’envers l’ordre public.

Si la politique d’immigration est une question sécuritaire, c’est plus souvent au plan de la politique intérieure que les États essaient de influencer l’opinion publique. Des banlieues urbaines troublées, des exclusions et des discriminations quotidiennes, des violences génératrices de troubles et de failles dans la cohésion sociale, sont parmi les conséquences directes des politiques nationales intolérantes et incohérentes. Par conséquent, la propagande au sein des milieux politiques exacerbe les tensions entre les citoyens de la société d’accueil et les nouveaux migrants.

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L’opinion qu’une politique de retour efficace soit essentielle afin que l’opinion publique apporte son soutien à des mesures dans des domaines tels que la migration irrégulière et la demande d’asile est largement répandue.

4.7. Aspect médiatique : de gros titres sur les tragédies humaines Les images des Africains entassés dans des barques de fortune et récupérés au large de la péninsule espagnole font les gros titres internationaux. Le fait nouveau de cette décennie est le caractère tragique des « aventures » entreprises par des gens souvent désespérés par le manque d’avenir dans leurs pays, et attirés vers l’image, fortement idéalisée, d’une Europe accueillante et pleine de perspectives. Or, la réalité est tout à fait différente. Par sa politique d’immigration commune, l’Europe a fermement annoncé son intention de mener une lutte sans répit contre la migration « clandestine ». Par contre, on peut aussi craindre que l’impact de ces drames se soit banalisé ; les opinions ne se mobilisent plus que pour les effets déstabilisateurs de ces nouveaux arrivés sur la cohésion sociale et économique du pays.

L’opinion publique et l’opinion médiatique sont étroitement liées car ce sont les medias qui forgent l’opinion publique. Comme il est bien connu, dans beaucoup de pays certaines branches des medias servent la ligne politique des gouvernements en place. Ainsi, est-il extrêmement difficile de se faire une idée précise sur les questions touchant la migration régulière et irrégulière dans les pays d’origine, d’accueil et de transit.

4.8. Perspectives générales : la prise en considération de la diversité des dynamiques migratoires L’ampleur du phénomène des migrations et de ses transformations, autant que ses incidences sur les pays concernés, constituent les principales préoccupations lors de l’élaboration des politiques d’immigration des États, attentifs à ce que les tensions et les conflits sociaux ne s’intensifient pas. Pour tous les gouvernements, le phénomène migratoire constitue un enjeu majeur de politique intérieure. 33

La nouveauté dans le phénomène migratoire de cette dernière décennie est malheureusement son caractère souvent dramatique. Les migrations internationales riment de plus en plus avec le décès de personnes, en mer, dans les camions ou en avion. Il est désormais accepté que leur traitement ne doive plus relever des seules relations entre les États d’origine et d’accueil. Or, les nouvelles allures de ce phénomène – existant depuis près de deux décennies –, appellent à un autre traitement de la question liée à la migration irrégulière. Ainsi, les reconstructions du nouvel espace migratoire européen et la diversité des dynamiques qui s’y observent ne concernent plus seulement l’Est, mais aussi le Sud.

De même, un autre volet de la problématique migratoire prend de plus en plus de place dans les discussions entre les dirigeants étatiques et les spécialistes en la matière. Il est largement reconnu que l’augmentation d’investissements dans les pays en voie de développement est un facteur à considérer sous deux angles : d’une part, relancer l’économie régionale et créer de l’emploi, et d’autre part, diminuer les flux migratoires.

La méconnaissance de l’impact positif des flux migratoires sur le développement des pays, qu’ils soient d’origine, de transit ou de destination, aura comme conséquence une aggravation des crises sociales et économiques dans tous les pays touchés par la migration irrégulière.

5. Les politiques, les mesures et les techniques des États dans le domaine de la migration irrégulière Les politiques migratoires des États relèvent de leur souveraineté nationale puisqu’elles se construisent autour des intérêts économiques et politiques nationaux, ainsi qu’autour des préoccupations démographiques et humanitaires. La primauté de la sécurité nationale – devenue la préoccupation omniprésente depuis les attaques du 11 septembre 2001, a remodelé les politiques migratoires en restreignant l’entrée des migrants sur le territoire

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des États et en élaborant des mécanismes sophistiqués de contrôle aux frontières23. De même, dans la justification et l’élaboration des politiques migratoires, le rôle de l’économie nationale et l’impact que les flux migratoires peuvent avoir sur l’équilibre économique et social d’un pays sont pris très au sérieux par les dirigeants politiques. Avec le vieillissement de la population et des taux de croissance démographique sur le point de devenir négatifs, d’importants problèmes de main-d’œuvre qualifiée et de coûts sociaux sont anticipés, ce qui favorise l’acceptation de certaines catégories de migrants réguliers. D’autre part, les préoccupations humanitaires font essentiellement référence aux réfugiés dont le statut est réglementé par la Convention relative au statut des réfugiés (1950) et son Protocole additionnel (1967). Certainement, il s’agit d’une brèche par rapport au postulat de la souveraineté nationale, dans la mesure où les États signataires de la Convention renoncent à leur prérogative en acceptant une gestion multilatérale des flux de réfugiés.

5.1. Les politiques de prévention pour lutter contre la migration irrégulière en Europe (Allemagne, Belgique, Espagne, France, Italie, Pays-Bas, Royaume-Uni)

Partout en Europe, les politiques nationales d’immigration relatives à l’entrée et au séjour des étrangers se caractérisent par une restriction de plus en plus sévère ainsi que par une baisse générale des entrées. Les causes sont liées aux pressions de l’opinion publique et au sentiment de méfiance entre les nationaux et les étrangers. Les violences racistes en Allemagne, les émeutes récentes dans les banlieues de Paris, les débats sur l’invasion et les menaces à l’identité dans plusieurs pays, en plus de la lassitude en Europe du Sud à l’égard de pays voisins déstabilisés (ex-Yougoslavie, Albanie, ex-URSS), ne sont pas non plus à négliger.

En Europe, l’idée selon laquelle le Nord comblerait son déficit démographique par des programmes d’immigration fondés sur un système de présélection des candidats n’est pas partagée par les décideurs des politiques publiques. Ces derniers se distinguent en cela 23

CRÉPEAU (F.) and NAKACHE (D.), 2006, « Controlling Irregular Migration in Canada: Reconciling Security Concerns with Human Rights Protection », IRPP Choices, vol. 12, no 1.

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des États-Unis, de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande et du Canada qui voient en l’immigration une contribution non seulement démographique, mais aussi sociale et culturelle. Par contre, en Europe, les migrations ont été introduites dès le début du manque de main-d’œuvre sur le marché. Malgré tout, le nombre d’admissions légales annuelles est supérieur en Europe que dans les pays d’immigration traditionnels (ÉtatsUnis, Australie, Canada). Néanmoins, certains pays européens, comme le Royaume-Uni et la France, envisagent d’introduire le système de quotas, quantitatifs ou qualitatifs.

Tous les pays sont concernés par les migrations internationales, mais leurs expériences diffèrent non seulement suivant l’ampleur et l’ancienneté des vagues migratoires et les caractéristiques des flux, mais aussi suivant leurs principes fondateurs, l’organisation et les modalités de fonctionnement des systèmes et des politiques migratoires. On distingue essentiellement trois types de modèle :

a) les systèmes d’installation, largement ouverts (Australie, Canada, NouvelleZélande, États-Unis) ; b) les systèmes mixtes, ouverts sous certaines conditions (Belgique, France, Pays-Bas, Suède) ; c) les systèmes temporaires, fermés (Japon et Corée).

La politique migratoire ne comprend pas seulement le contrôle des entrées, mais également l’intégration des immigrants, la lutte contre l’immigration irrégulière et la coopération internationale. Si les politiques nationales d’immigration diffèrent au niveau de l’admission des étrangers et de leur intégration sociale dans les sociétés d’accueil, il existe une parfaite cohérence dans les politiques migratoires des États concernant les migrants dits « clandestins » ou « sans papiers ». L’arrivée de cette catégorie de migrants est perçue comme une menace à la cohésion sociale et au droit de tous les États de contrôler la circulation des personnes sur leur territoire.

5.1.1. La politique commune de l’Union européenne sur l’immigration

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La lutte contre la migration irrégulière est l’axe central de la politique commune de l’UE en matière de migrations. Le Traité d’Amsterdam a créé les compétences communautaires dans ce domaine à son titre IV, l’article 62 du TCE constituant la base juridique des règlements relatifs aux contrôles aux frontières et à la politique des visas, et l’article 63 du TCE la base explicite des mesures relatives à l’immigration et au séjour irréguliers, y compris le rapatriement des personnes en séjour irrégulier.

Le sommet de Tampere (octobre 1999) a défini « les priorités et les orientations politiques pour la réalisation de la mise en œuvre d’un espace de liberté, de sécurité et de justice ». Lors de ce sommet, les États ont réaffirmé plusieurs principes fondamentaux qui ont servi de base à la politique commune en matière d’immigration et d’asile. •

Le droit à la liberté de circulation pour tous ;



La distinction claire entre immigration et asile ;



La nécessité d’élaborer des politiques communes d’asile et d’immigration « qui offrent des garanties à ceux qui cherchent protection dans l’UE ou demandent accès à son territoire » et une politique d’intégration des ressortissants non communautaires résidant dans l’UE.

D’autres thèmes ont retenu l’attention des États membres de l’UE. En matière d’asile, les États ont réaffirmé l’importance du principe de non-refoulement, élément-clé dans la protection internationale des réfugiés, et ont décidé de mettre en place un régime d’asile européen en conformité avec les objectifs de la Convention de Genève de 1951. En matière d’admission et de séjour des migrants, les conclusions de Tampere ont mis fin à «l’immigration zéro ». Un rapprochement des législations nationales sur l’entrée et le séjour des migrants, ainsi qu’une politique commune de visa, ont été préconisés lors du sommet de Tampere.

Au sommet de Laeken en décembre 2001, les États ont poursuivi leur travail en matière d’immigration et d’asile, tout en regrettant le retard face à Tampere. Les conclusions de Laeken soulignent la nécessité d’intégrer la politique des flux migratoires dans la

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politique extérieure de l’UE afin de parvenir à un consensus entre les États membres. Les États reprennent l’idée de conditionner la conclusion d’accords de coopération européens à l’application de clauses dites de réadmission. En vertu de ces clauses, les autorités des pays concernés s’engagent à réadmettre leurs ressortissants en situation irrégulière sur le territoire de l’UE. Cette approche d’utiliser des moyens politiques et économiques afin d’éloigner les migrants en situation irrégulière a été fortement critiquée, tant par les pays touchés par ces mesures que par certains États membres de l’UE, comme la France.

Au vu de la situation économique et politique de nombreux pays d’origine et des prévisions démographiques, il est très probable que la pression migratoire s’accentue au cours des prochaines décennies. Les mouvements de migration irrégulière risquent de se poursuivre à un rythme élevé tant que subsisteront d’importants facteurs de départ dans les pays tiers et des facteurs d’attraction dans l’UE.

L’importance des mesures de lutte contre l’immigration irrégulière a été soulignée à plusieurs reprises tant par les États membres de l’UE que par les institutions de l’UE. Par exemple, dans sa Communication de 2001 relative à une politique commune en matière d’immigration irrégulière, la Commission a annoncé son intention « d’aborder la question de l’immigration clandestine dans le cadre d’une approche globale » orientée sur des mesures couvrant les différentes étapes du processus migratoire. Toutefois, le grand nombre d’engagements demande à être traduit dans la législation européenne, et les directives adoptées dans ce cadre ne sont pas toutes transposées intégralement dans les législations nationales. Néanmoins, malgré la démarche globale annoncée au départ, l’équilibre entre sécurité et droits fondamentaux de l’individu n’est pas toujours assuré.

Le programme de La Haye (Programme de travail pluriannuel dans le domaine de la justice, liberté et sécurité, adopté par le Conseil européen les 4 et 5 novembre 2004) définit un programme d’action en vue d’intensifier la lutte contre la migration irrégulière dans plusieurs grands domaines de politique : la sécurité des frontières, l’emploi illégal, les retours et la coopération entre les pays tiers. Face aux flux récents et continus de migration irrégulière dans la région méditerranéenne, le Conseil européen des 15 et 16

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décembre 2005 a aussi souligné la nécessité d’adopter une approche globale et a arrêté un ensemble de mesures prioritaires concrètes.

5.1.2. Le défi de l’élargissement de l’Union européenne: Le contexte de la politique d’immigration commune Pour valider leur droit d’entrer dans l’Union européenne, les dix États candidats de la première vague de l’élargissement en 2004 (la Slovénie, la Pologne, la République tchèque, la Slovaquie, la Lituanie, l’Estonie, la Lettonie, la Hongrie, Chypre, Malte, la Roumanie et la Bulgarie)24 ont dû prouver leur capacité à renforcer le contrôle de leurs frontières au niveau national. La Pologne et la Roumanie ont subi des pressions de la part de l’UE en vue d’assurer l’étanchéité de leurs frontières orientales. Les pays se sont engagés dans une large campagne pour sécuriser leurs frontières et maîtriser la migration irrégulière, celle de leurs nationaux autant que celle des étrangers qui traversent leur territoire.

Les nouveaux pays ont dû s’efforcer d’adapter leur arsenal législatif, réglementaire et administratif pour le rendre conforme à l’acquis communautaire. Pour aider les pays candidats, de nombreuses initiatives de coopération technique et logistique ont vu le jour. L’UE a développé le programme PHARE. L’objectif de ce dernier est d’aider les pays candidats à l’adhésion à compléter et à réviser leurs législations nationales, à adapter leurs institutions et leurs procédures aux normes de l’Union et à acquérir une expérience de coopération entre les anciens et les nouveaux États membres.

Il a été souvent souligné que l’harmonisation européenne en matière d’asile et d’immigration joue le rôle d’un petit dénominateur commun. Contrairement à l’idée générale, les travaux d’harmonisation consistent bien plus à préserver les pratiques nationales par l’insertion de clauses dérogatoires qu’à adopter de véritables normes communes. Cette pratique affaiblit beaucoup le caractère contraignant des dispositions et

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La Roumanie et la Bulgarie ont adhéré à l’Union européenne le 1er janvier 2007. Des progrès effectués dans ce domaine ont joué un rôle déterminant dans le processus d’adhésion les concernant.

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laissent une marge de manœuvre très large aux États dans leur pratique et application des textes communautaires.

Par ailleurs, au moment où les travaux d’harmonisation s’accélèrent, on assiste à un durcissement des législations nationales sur l’asile et l’immigration. Les mesures législatives nationales sont axées sur le renforcement des conditions d’accès au territoire (notamment sur le sujet du regroupement familial), les conditions de plus en plus restrictives de l’octroi du statut de réfugié et les mesures d’intégration dans les sociétés d’accueil.

On assiste depuis plusieurs années à l’externalisation du contrôle des flux migratoires. Devant la difficulté pratique, politique et parfois juridique à éloigner les étrangers en situation irrégulière, les États préfèrent contrôler en amont les départs du pays d’origine. Cette politique de prévention, mise en œuvre parfois en collaboration avec les pays d’origine même, pose d’évidents problèmes en regard de la protection des réfugiés. En juin 1993, le Conseil européen de Copenhague a reconnu le droit aux pays d’Europe centrale et orientale d’adhérer à l’Union européenne lorsqu’ils auront rempli les trois critères suivants : •

Critère politique : institutions stables garantissant la démocratie, la primauté du droit, les droits de l'homme, le respect des minorités;



Critère économique : économie de marché viable;



Reprise de l'acquis communautaire : souscription aux diverses finalités politiques, économiques et monétaires de l’Union européenne.

Ces critères d’adhésion ont été confirmés par le Conseil européen de Madrid de décembre 1995, qui a également souligné l’importance de l’adaptation des structures administratives des pays candidats afin de créer des conditions d’intégration progressive et harmonieuse. Le fait que les États – démocraties et États de droit – ne respectent pas leurs engagements internationaux en matière de droits humains rend difficile l’élaboration d’une protection effective des droits des migrants irréguliers.

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5.2. Les politiques d’immigration en Amérique du Nord et en Océanie (Canada, États-Unis d’Amérique et Nouvelle-Zélande) Les migrations représentent un phénomène de longue date, mais elles ont eu des dimensions significatives dans les Amériques au cours du XXe siècle. À la suite de la Deuxième Guerre mondiale, les flux migratoires ont été orientés vers l’Amérique du Sud, mais la situation s’est complètement modifiée : le Canada et les États-Unis d’Amérique, depuis quelques décennies, deviennent les pays receveurs de migrants au niveau international et régional. Ainsi, au cours de la dernière décennie, les États-Unis ont enregistré la plus forte vague d’immigration de leur histoire.

Pays d’immigrants par excellence, les États-Unis, le Canada, l’Australie et la NouvelleZélande ont souvent utilisé l’immigration comme outil économique et social pour accroître la productivité, compléter le manque de main-d’œuvre qualifiée ou renforcer l’intégration sociale, ethnique et culturelle dans les sociétés d’accueil. Semblables dans leurs principes, les systèmes américain, canadien, australien et néo-zélandais – fondés sur une sélection préalable –, attribuent des points aux candidats à l’immigration en fonction de leur âge, métier et diplômes. En règle générale, ces pays cherchent à attirer les migrants qualifiés et admettent aussi bien les migrants temporaires que les migrants permanents. La compétition est cependant rude entre le Canada, les États-Unis, l’Australie ou les pays européens pour attirer les migrants ayant des qualifications très recherchées. Une des mesures d’incitation les plus courantes consiste à favoriser l’accès à la naturalisation, accordée après quelques années de résidence. L’acquisition d’un passeport canadien ou américain reste très attractive pour les ressortissants des pays politiquement instables.

Toutefois, on peut considérer ces politiques, pratiques et institutions mises en place comme des compromis qui animent les milieux politiques de chaque pays. D’une part, les systèmes de sélection ouverts risquent de laisser entrer des immigrants qui nécessiteront une assistance considérable, du moins lors de leur arrivée. D’autre part, les systèmes de

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sélection qui excluent la plupart des demandeurs et ne permettent que l’entrée des candidats qui s’adapteront facilement à la société d’accueil, réduisent les coûts sur les systèmes sociaux des États d’accueil. Ainsi, après les bouleversements liés aux attentats du 11 septembre, les partisans de la restriction de l’immigration aux États-Unis ont fait valoir que l’intégration des immigrants venus d’Amérique latine coûtait très cher aux services sociaux. Leurs arguments se sont heurtés à ceux des partisans de l’ouverture, pour lesquels, au contraire, l’afflux d’une main-d’œuvre bon marché a contribué à alimenter la croissance économique des années 1990.

Pour les pays comme la France, le Royaume-Uni ou le Canada, l’immigration économique des années 1950 et 1960 a été un élément important de la croissance économique de l’après-guerre. En fait, si l’impact économique n’était pas positif, l’Acte unique européen de 1985 et les Accords de l’ALENA (entre les États-Unis, le Canada et le Mexique) de 1994 visant à assurer le libre mouvement des personnes à l’intérieur de la même zone géographique n’auraient incontestablement pas été signés. Peut-être l’ALENA est-elle le premier exemple d’un accord complet d’intégration économique, visant un pays en voie de développement où les salaires sont bas, et des pays qui bénéficient d’une économie industrielle avancée. L’écart qui existe entre le développement social et économique aux États-Unis et au Canada et celui au Mexique est beaucoup plus marqué que l’écart existant entre les États membres originaux de la Communauté européenne et les anciens et nouveaux participants tels que l’Espagne, le Portugal, la Grèce, la Bulgarie ou la Roumanie.

En guise de conclusion, les différences subtiles entre les systèmes et les cultures politicojuridiques peuvent donner des résultats différents au niveau de la pratique, aussi bien qu’au niveau du discours politique. À titre d’exemple, l’approche française de l’immigration tend à être plus étatiste et plus administrative, ce qui a contribué à politiser le problème au début des années 1980. Par contre, la structure fédérale du système politique aux États-Unis et l’approche pluraliste de la législation de ce pays ont entraîné une fragmentation de la problématique migratoire. Pourtant, l’adoption de la loi Sarkozy en 2006 et la vague de protestation contre la proposition parlementaire d’origine

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républicaine qui a criminalisé la migration irrégulière nous amènent à réfléchir à savoir s’il y a un lien direct entre les politiques nationales sur la migration irrégulière et le système d’un État, ou s’il s’agit plutôt d’une question de conjoncture précise.

La perception de la migration irrégulière est généralement négative au Canada comme partout ailleurs. Une des raisons principales souvent soulignées afin d’expliquer l’échec des politiques nationales est le fait que ce phénomène n’est pas mis dans son contexte global. Ainsi, les gouvernements, en matière de lutte contre la migration irrégulière, ne tiennent souvent pas compte des conditions économiques, mais se réfèrent plutôt à des notions de souveraineté nationale. Ce qui explique peut-être l’approche adoptée par les pays européens, qui confient la question de l’immigration à des ministères de l’Intérieur. Par contre, le Canada et les États-Unis possèdent un ministère spécifique de l’immigration, souvent rattaché à celui du travail.

En somme, le durcissement législatif et administratif et la coopération entre les pays relèvent d’une tendance forte parmi les pays occidentaux. L’ouverture des frontières aux migrations légitimes devrait s’accentuer, tandis que les migrations liées aux activités criminelles, aux actions contournant les lois ou aux comportements violents seront de plus en plus surveillées et supprimées. Une coopération renforcée se dessine entre le Canada, les États-Unis et les pays européens au niveau de l’échange d’informations et de l’organisation d’actions communes, afin de prévenir la migration irrégulière et de détecter le commerce de faux passeports.

5.3. Les mesures et les techniques des États dans le domaine de la migration irrégulière La formulation des politiques migratoires des États est basée d’abord et avant tout sur les paramètres de l’intérêt sécuritaire et économique des pays d’accueil. Les droits des migrants irréguliers n’apparaissent pas comme un paramètre important pouvant influencer et modifier l’approche d’exclusion, d’éloignement et de retour que les États adoptent en matière de politiques migratoires.

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Sommairement, les domaines de travail des États pour les années à venir touchent plusieurs aspects de la lutte contre la migration irrégulière. •

Visas : Le développement d’un système commun d’information des visas est perçu par les États comme une base juridique requise pour diminuer les flux de migrants irréguliers. La mise en place d’un système commun d’information permettra l’établissement et la maintenance de procédures et de modalités d’échange de données entre les États sur les demandes de visas de court séjour. L’introduction de modèles communs et d’instructions consulaires similaires est un des éléments constitutifs de la coopération entre les États.



Renforcement des frontières extérieures : Le code communautaire des frontières et l’Agence pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures en Europe (FRONTEX) forment déjà le cadre opérationnel du renforcement des frontières extérieures de l’UE. Le recours à des bases de données centralisées comme le SIS, le VIS, et l’emploi de techniques biométriques telles que les empreintes digitales et la photographie numérique renforceront les systèmes de contrôle aux frontières. Il est aussi envisagé de créer un système d’entrées-sorties généralisé et automatisé, destiné à l’enregistrement des ressortissants de pays tiers entrant sur le territoire de l’UE et en sortant. Une autre approche consisterait à exploiter davantage les informations préalables sur les passagers aux fins de contrôle des frontières et de la migration irrégulière (« efrontières »), afin d’évaluer les analyses de menaces et de risques.

En 2006, le gouvernement américain s’est prononcé en faveur d’une refonte totale du dispositif concernant l’immigration aux États-Unis. La proposition du président George W. Bush relative à une réforme complète de l’immigration comprend trois volets : sécuriser les frontières, renforcer le respect des lois à l’intérieur du pays et créer un programme de travailleurs temporaires. Depuis le début du mandat du président Bush, le financement pour la sécurité des frontières

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a augmenté de 66 %. Le gouvernement américain a mis fin à la pratique de la procédure de « prise et relâche »25 en favorisant la procédure du « refoulement rapide » qui permet de renvoyer plus rapidement dans leurs pays d’origine les migrants non mexicains. Le second volet du programme vise à faire respecter les lois à l’intérieur du pays. Le financement des forces de répression de la migration irrégulière a augmenté de 42 %. Le troisième volet, qui porte sur la création d’un nouveau programme de travailleurs temporaires, permettrait à certains migrants de faire une demande officielle auprès des autorités compétentes afin de pouvoir travailler en toute légalité pendant une période de temps fixée à l’avance26. •

Amélioration des échanges d’informations : La coopération opérationnelle entre les États membres de l’UE ne peut se révéler fructueuse que si ces derniers sont en mesure de partager rapidement et sans difficulté des informations de nature technique et stratégique.



Politique de retour : Parmi les priorités dans cette matière figurent la conclusion de nouveaux accords de réadmission, le recours accru par les États aux vols de retour communs, une simplification de l’obtention des documents en vue du retour des ressortissants de pays tiers dépourvus de documents de voyages.



Coopération avec les pays tiers : Le dialogue et la coopération en matière de migrations entre les États d’accueil et les pays d’origine et de transit sont d’une importance cruciale. La coopération avec les pays tiers inclut la conclusion d’accords de réadmission, le projet de créer du transit processing centers dans les pays tiers. Il s’agit aussi d’instaurer des patrouilles communes d’opérations de surveillance et de renforcer la capacité d’intervention. Il importe de noter qu’à

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La majorité des immigrants illégaux du Mexique peuvent être refoulés du pays dans les 24 heures. Les immigrants illégaux non mexicains constituent un problème différent : les lieux de détention manquent de financement. Par conséquent, les immigrants illégaux sont relâchés dans la société américaine avec l’obligation de comparaître devant les autorités judiciaires aux États-Unis. 26 Fiche analytique : Le président Bush présente son plan de réforme de l’immigration, Document de la Maison Blanche. Le texte est disponible à l’adresse suivante http://usinfo.state.gov/fr/Archive/2006/May/16-217340.html

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long terme, les facteurs de départ favorisant la migration irrégulière continueront d’être traités dans le cadre de politiques de développement. Toutefois, la coopération avec les pays tiers est fortement axée sur le retour des migrants irréguliers. Les conséquences directes et immédiates d’une telle coopération sont l’externalisation grandissante de la politique migratoire des États. •

Répression de l’aide à l’emploi illégal : Dans ce volet d’initiatives, les États doivent introduire des sanctions contre les employeurs et les transporteurs profitant

pleinement

du

travail

des

migrants

irréguliers.

L’initiative

communautaire visant à harmoniser les sanctions constituerait un moyen supplémentaire de prévenir la migration irrégulière. •

Évaluation des politiques : Une proposition est aussi faite afin d’évaluer la législation sur les obligations des transporteurs commerciaux en matière de prévention de la migration irrégulière et les mesures réprimant l’aide à l’entrée, au transit et au séjour irréguliers (passagers des migrants irréguliers). Cette évaluation a pour objectif d’identifier les insuffisances et les lacunes.



Lutte contre la traite des êtres humains : Cet aspect des initiatives entre les États couvre une série de questions ayant rapport avec la prévention de ce phénomène, ainsi qu’avec la prise en compte de ses conséquences négatives. Les domaines de préoccupations sont les suivants : les mesures visant à améliorer la compréhension du phénomène de la criminalité et de ses différents aspects, à prévenir la traite des êtres humains et à réduire la demande ; une plus grande efficacité des enquêtes pénales ; la protection et l’accompagnement des victimes ; le retour et la réintégration en toute sécurité dans le pays d’origine; les questions liées à la lutte contre la traite dans les pays tiers.



Régularisation des migrants en situation irrégulière : Les États ont lancé des programmes de régularisation à grande échelle au cours des dernières années et encore tout récemment, parce qu’ils pouvaient difficilement tolérer la présence

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prolongée sur leur territoire d’un grand nombre de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier. L’Espagne a procédé à plusieurs opérations de régularisation de migrants irréguliers depuis les années 1980. La dernière opération en date, lancée par le gouvernement Zapatero, a abouti à la régularisation de 700 000 personnes en février et mai 2005. Certains pays membres de l’espace Schengen, comme l’Allemagne ou les Pays-Bas, ont vivement critiqué cette mesure car les migrants munis de papiers attribués par l’Espagne peuvent ensuite circuler librement dans les autres pays. En outre, l’Allemagne a annoncé que son gouvernement envisage de régulariser les sans-papiers vivant depuis longtemps sur son territoire27. Dernièrement, la France s’est aussi apprêtée à régulariser le séjour de 6000 étrangers en sol français lors d’une opération lancée le 13 juin 2006 par le ministre Sarkozy28.

6. Les perspectives contemporaines des flux migratoires : quelques pistes de réflexion Au cours des années récentes, dans un monde de plus en plus interdépendant et avec un nombre croissant de migrants irréguliers partout dans le monde, nous observons que les distinctions importantes entre les migrants réguliers et irréguliers, les demandeurs d’asile et les réfugiés se sont estompées. Pour la politique d’asile, nous constatons, d’une part, la confusion systématique entre les demandeurs d’asile et ceux que les États désignent comme « des migrants économiques » et, d’autre part, l’interprétation de plus en plus restrictive de la Convention de Genève de 1951 sur le statut des réfugiés.

Les politiques migratoires actuelles exacerbent les tensions entre les sociétés d’accueil et les migrants en situation irrégulière en donnant des armes juridiques aux États accueillant les flux migratoires.

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De TRICORNOT (A.), « L’Allemagne envisage de régulariser ses immigrés de longue date », Le Monde, 24 août 2006. 28 Van EECKHOUT (L.), « Nicolas Sarkozy se déclare prêt à régulariser 6000 étrangers », Le Monde, 24 août 2006.

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Des organisations internationales comme l’ONU ou l’OCDE ne cessent de répéter que le XXIe siècle sera celui des migrations. À part les flux traditionnels – Maghrébins en France, Turcs en Allemagne, Marocains et Turcs aux Pays-Bas, Albanais en Italie, Russes en Finlande – apparaissent de nouveaux flux en provenance de pays plus éloignés : Chinois, Zaïrois et Haïtiens en France, Somaliens au Danemark ou en Finlande.

Les contradictions nationales détournent, mais ne mettent pas fin de manière définitive et durable à la migration irrégulière. La tentation des autorités à appliquer des conditions juridiques « exceptionnelles » aux lieux abritant des migrants irréguliers aboutit à la constitution des zones « grises ». En cela Sangatte n’est pas unique; les zones d’attente dans les aéroports internationaux, certains centres de rétention ou centres d’accueil fermes devraient aussi être examinées. En voulant continuer à appliquer leur autorité sur des personnes, tout en refusant à ces dernières les droits reconnus à ceux qui vivent sur leur territoire, les États mettent en danger les droits fondamentaux de la personne. La marginalisation des migrants irréguliers est un autre risque qui apparaîtra si l’État n’est pas capable d’élaborer des programmes d’intégration sociale efficaces.

C’est pour cela que les États se doivent d’approfondir rapidement leur réflexion sur leurs propres dynamiques sociales d’intégration. La plupart mène, par rapport aux populations immigrées, des politiques semblables : apprentissage de la langue et de la culture, accompagnement de la scolarisation des enfants, accès à l’emploi. Il n’existe pas un échange de bonnes pratiques et l’on continue souvent de vivre sous l’influence des préjugés introduits dans les modèles d’intégration (intégration républicaine en France, le communautarisme existant au Royaume-Uni, le multiculturalisme en Belgique et au Canada, la culture du « vivre ensemble » en Allemagne et aux Pays-Bas, et la culture du melting pot aux États-Unis).

La pression migratoire est difficile, voire impossible à réguler et à maîtriser, si on tente d’agir unilatéralement dans les pays du Sud ou de l’Est de l’Europe. Les initiatives multilatérales pour « lutter » contre les migrations irrégulières constituent l’amorce d’une juridicisation de la migration internationale (Voir Note de synthèse no ? Coopération

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internationale). En outre, ni la libéralisation des échanges, ni les politiques de « zéro immigration » ou « stop à l’immigration », ni les politiques de développement ne vont diminuer la migration à court terme. Or, l’essentiel des flux migratoires vers l’Europe et les pays de l’OCDE (États-Unis, Canada, France) proviennent du regroupement familial29. En ce sens, il convient de distinguer la logique de l’économie de celle de la migration. Il faut aussi différencier très clairement le droit de circuler, largement introduit par la facilitation de la mobilité et le libre échange des biens et des services, du droit de s’installer. Parfois, la confusion devient malentendu quand il s’agit d’aborder la question de la taxonomie de la migration tant régulière qu’irrégulière. Aujourd’hui, alors qu’il est plus facile de franchir les frontières que d’obtenir un titre de séjour, la plupart de ceux qui s’installent durablement dans l’illégalité sont entrés régulièrement sur le territoire.

Pour l’Europe, débattre aujourd’hui de l’intégration de nouveaux migrants, c’est surtout débattre de son identité et de sa culture, de sa capacité de progresser, d’ouvrir ses frontières et de se métisser. La capacité d’exister dans un monde qui change vite, où l’affirmation de soi passe par l’échange des idées, des savoirs et des cultures différentes, entre aussi en jeu.

Conclusion

Une politique d’immigration vise à trouver un juste milieu entre, d’une part, la sensibilité humaine, le respect des droits humains et la solidarité sociale, et d’autre part, la nécessité dans laquelle se trouve tout État de savoir qui immigre sur son territoire et pour quelle raison – éléments associables au concept de la souveraineté de l’État –, et l’obligation qui lui incombe de préserver les ténus équilibres sociaux, économiques et culturels. De plus en plus, les droits humains et les préoccupations humanitaires s’imposent comme référence supranationale ayant préséance sur la souveraineté des États.

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Van EECKHOUT (L.), « Comite interministériel : Selon un rapport gouvernemental, l’immigration s’est stabilisée depuis 2004 », Le Monde, Société, le 10 février 2006, p. 11.

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Faut-il voir l’indice d’une suspicion persistante des gouvernements européens vis-à-vis d’un phénomène migratoire qui s’amplifie ? Sommes-nous en droit de nous interroger sur le tournant autoritaire que la politique de l’Union européenne prend en confondant sécurité et mesures coercitives ? Or, à un moment ou à un autre, les gouvernements devront changer leurs discours politiques vis-à-vis des migrants irréguliers. La prise de mesures visant à identifier clairement cet ennemi « invisible », auquel les autorités font sans cesse allusion, est indispensable afin de faire face aux effets négatifs du phénomène migratoire.

Il faut dire que les pays devront rendre leurs politiques nationales sur l’immigration compatibles avec leurs intérêts sociaux et économiques, tout en assumant leur devoir humanitaire. Si l’Europe ne cesse d’affirmer « les valeurs indivisibles et universelles » de dignité humaine, de liberté et de solidarité (préambule de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne), elle doit prouver sans tarder ses engagements envers les demandeurs d’asile, changer son approche de criminalisation et de stigmatisation de l’image des migrants irréguliers, et assurer l’accès de ces derniers aux droits sociaux minimaux.

La méconnaissance de l’impact positif des flux migratoires sur le développement des pays, qu’ils soient de transit ou de destination, l’éloignement des politiques migratoires des principes fondamentaux des droits humains et du respect de ceux-ci demeurent des défis à relever pour les États qui se doivent de modifier leur approche restrictive. La tendance actuelle à avoir recours à des mesures sécuritaires, dans le contexte de lutte contre le terrorisme, pour se détourner de la protection des droits des migrants et des membres de leurs familles, doit être évaluée à la lumière du nouveau contexte des rapports existants entre les États.

Cette note de synthèse sur l’état actuel de la migration tant régulière qu’irrégulière, ainsi que les autres notes de synthèse qui suivront, veulent indiquer que le temps et le contexte international dans lequel nous vivons nous obligent à mener sereinement et de manière

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engagée le débat sur la question de la migration. Un débat qu’il n’est plus question de fuir…

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